Queaux, prononcez « kio » avec l’accent local, est une petite bourgade du sud-est de la Vienne qui fait partie de l’arrondissement de Montmorillon et située aux confins de la Marche et du Poitou. Le bourg est construit au bord de la vallée de la Vienne sur le flanc d’une colline.
C’est à Queaux, en 1858, que Louis MARTIN, 48 ans veuf de Marie IMBERT, va épouser Jeanne BONNEAU et qu’il va s’y installer définitivement puisque c’est là qu’il finira sa vie. Il est l’un des 13 enfants identifiés de Louis et Jeanne FERRAND. En 1858, les parents étaient décédés à Persac 11 ans auparavant pour le père et 5 ans pour la mère. Louis est né à Persac, bourgade située en face de Queaux sur l’autre rive de la Vienne. La traversée entre Persac et Queaux s’effectuait par l’intermédiaire d’un bac et il est certain qu’aussi bien Louis que sa famille a très souvent emprunté ce bac dans le cadre de sa profession. Louis est voiturier et il est issu d’une longue lignée de voituriers qui ont arpenté les routes de la Vienne et des départements limitrophes.
Nous avons été très intrigués la première fois que nous avons rencontré ce métier dans notre généalogie. Naïvement et sans doute par manque de connaissance des particularités économiques de la contrée, nous avons imaginé que ces voituriers étaient des précurseurs de nos autocars modernes. Cette imagination, qui nous apparaît farfelue aujourd’hui, était alimentée par les images des diligences qui fleurissent dans les pages des bandes dessinées que nous aimons parcourir. C’est en lisant avec beaucoup d’intérêt le livre « Le peuple de la forêt » d’Emmanuel DION et Sébastien JAHAN que nous avons compris notre bévue et découvert par la même occasion une communauté avec ses codes de vie spécifiques.
Ce Louis MARTIN et ses ancêtres étaient donc des voituriers de charbon ou des voituriers de fer, fortement liés à l’activité des forges, en l’occurrence la forge dite de Verrières à Lhommaizé et celle de Goberté à Gouex. Mais très vite, nos ancêtres voituriers vont nous emmener vers la forge de Luchapt dans la Vienne, celle de l’Abloux à Saint-Gilles dans l’Indre et très récemment à La Peyratte dans les Deux-Sèvres.
Le voiturier fait partie des métiers qui gravitent autour des forges comme les charbonniers. Dans la famille des MARTIN, les enfants sont voituriers de père en fils et les filles épousent des voituriers ou des charbonniers !
Dans le bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest du 3e trimestre 1976, nous avons un descriptif très précis sur les différents métiers qui gravitent autour de la forge de Verrières à Lhommaizé. Cette forge située au sud-est de Poitiers a fonctionné de 1595 à 1886. Elle était la propriété des ducs de MORTEMART avant d’échouer à la famille de BEAUCHAMP, maîtres de forges de père en fils. Les bois environnants appartenant également aux ducs de MORTEMART, cela facilitait l’exploitation et la gestion forestière et permettait ainsi une alimentation autonome et régulière de la forge.
Dans la chaîne de fabrication d’une forge, le voiturier intervient pour transporter les sacs de charbon, une fois le bois converti en charbon, pour le mener à la forge. D’où des liens très étroits entre les voituriers et les charbonniers.
Voici la description qui est faite par les Antiquaires de l’Ouest du métier de voiturier :
« Il faut transporter environ 15000 sacs chaque année, ce qui représente 750 tonnes à une distance moyenne de 5 à 15km mais parfois jusqu’à 40km. Si dans des provinces éloignées on recommande le transport par voitures tirées par des chevaux, ici en Poitou on utilise essentiellement des mulets. […] Des voituriers disposant chacun de 30 à 40 mulets menés par des valets à gages, s’engageaient à s’assurer les transports de n’importe quel matériel moyennant un prix forfaitaire, dépendant de la distance. […] Au départ, chaque voiturier doit recevoir du commis aux bois un billet indiquant le jour du départ, la quantité des mulets chargés, le nombre de sacs de « grands charbons » et de « menus charbons ». Et ce commis en tiendra le double sur son registre. A l’autre bout de la chaîne, le commis aux forges doit vérifier le billet de chaque voiturier ainsi que l’état des sacs. […] L’on peut imaginer dans ce paisible Poitou, des files de 30 à 40 mulets dirigés par un voiturier et 6 à 8 valets transporter d’un seul coup 1,5t à 2t de charbon de bois. Comme la consommation devait être très approximativement de 2t, c’est une quarantaine de mulets qui devaient venir chaque jour apporter leur chargement à la Forge. »
Nous n’avons pas encore trouvé d’où est originaire le patriarche Mathurin MARTIN, époux de Renée ESLOY. Nous savons juste qu’il est décédé à Bouresse en 1710. Ses enfants sont nés à Verrières, puis Lussac-les-Châteaux et enfin à Saint-Secondin. Sur 7 enfants identifiés, 4 garçons sont voituriers. Si le patriarche semble être resté près de la forge de Verrières début 1700, on constate une mobilité rapide de ses enfants et petits enfants. Deux enfants de Mathurin vont finir leur vie à Saint-Gilles dans l’Indre près de la forge de l’Abloux en étant passé auparavant par la forge de Luchapt soit près de 90 km entre les 2 lieux.
Au XVIIIe siècle, les forges fonctionnaient à plein régime et on comprend aisément qu’elles avaient besoin d’une importante main-d’œuvre pour les alimenter en permanence. Il était donc plus aisé pour un père voiturier de transmettre son savoir-faire à ses fils et de s’associer avec des gendres eux-mêmes issus de familles de voituriers.
Pour certains laboureurs, le métier de voiturier était un complément de revenus ou une promotion sociale. C’est sans doute le cas pour Silvain TABUTEAU, cultivateur et fils d’un cultivateur Louis TABUTEAU, qui devient voiturier en épousant en 1815 Marie MARTIN l’arrière-arrière-petite-fille de Mathurin et sœur de Louis MARTIN.
Sur les quatre générations précédant Marie et Louis MARTIN, nous avons identifié 31 voituriers dont 17 descendants par les garçons MARTIN ; les 14 autres sont les époux des filles MARTIN. Sachant que la plupart des conjoints sont également des descendants de voituriers ou de quelques charbonniers, ce premier inventaire donne une idée de la communauté constituée autour de la forge de Verrières et de Goberté dans un premier temps puis autour de la forge de Luchapt avant de s’éloigner vers les forges de l’Indre ou des Deux-Sèvres.
A partir de la cinquième génération, on devine la diminution de l’activité des forges, car les individus vont se stabiliser et se marier avec des cultivateurs pour revenir vers une activité agricole. Ce sera le cas des enfants du Louis MARTIN qui finira ses jours à Queaux.
Notre quête autour des ancêtres voituriers est loin d’être finie et difficile à mener étant donné les routes qu’ils ont empruntées parfois pour une même génération. Mais la généalogie est un long fleuve tranquille et il faut savoir être patients et persévérants.
Le PLUS à consulter :
- « Le peuple de la forêt, Nomadisme ouvrier et identités dans la France du Centre-Ouest aux Temps modernes » par Sébastien JAHAN et Emmanuel DION, 2003, Presses Universitaires de Rennes
- « Déviance et mobilité : le cas des ouvriers nomades de la forêt dans l’ouest de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles » par Sébastien JAHAN, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest
- « L’industrie sidérurgique en France au début de la Révolution » par Hubert et Georges BOURGIN, 1920, collection documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française
Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
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