Outre le meilleur moyen d’obtenir de belles salades et de beaux radis, bécher, l’exercice favori des jardiniers, s’avère parfois aussi un très bon moyen de remonter le temps et de tutoyer l’histoire locale.
Une mystérieuse chapelle
Il y plus de 30 ans un habitant du bourg d’Iteuil a découvert par hasard dans la terre de son potager un objet intrigant pour lui. Après nettoyage, il constata que c’était une matrice de sceau faite en bronze. L’objet est en très bon état de conservation, il a une forme oblongue et présente au dos un petit anneau qui permet de l’utiliser comme pendentif, c’est une matrice de sceau dite en navette. Ses dimensions sont 3 cm en longueur et 1,9 cm en largeur. Sur le devant au centre on distingue un félin dressé sur ses pattes arrières, appelé « lion rampant », avec tout autour un bandeau contenant un texte gravé à l’envers. La gravure de l’animal, vue sa taille, est de très bonne qualité, on reconnait parfaitement un félin, un lion, à l’exception de la tête plus stylisée. Une croix pattée se devine dans le coin haut de l’objet. Un autre sceau étudié a pour dimensions 4 cm sur 2,5 cm, dans les mêmes proportions que le premier, la confection de ces matrices était donc régie par des règles géométriques strictes.
En prenant une photo et en retournant cette vue on peut obtenir une image positive avec le texte écrit à l’endroit. On y déchiffre l’inscription suivante S’H’CAPELL’DEV ISTOLIO :
S pour Sigillum (sceau),
H c’est la première lettre d’un prénom (Hilaire Henri Haubert Hubert…),
CAPELL pour Capellanus (chapelain) ou Capella (chapelle),
DEV pour Deu (Dieu),
enfin Istolio est une forme ancienne et latine de l’écriture d’Iteuil connue par un texte de 1149.
La forme des lettres permet de dater l’objet. Laurent HABLOT du CESCM(1) qui a déchiffré l’inscription propose une date entre 1250 et 1300. C’est donc la signature (sceau) d’un certain H. chapelain de la chapelle de Dieu à Iteuil qui a vécu à la fin du 13ème siècle. Hélas ni le texte ni la figure gravée ne permettent d’en savoir plus sur ce personnage. Comment s’appelait-il précisément ? D’où venait-il ? Le « lion rampant » n’apporte aucune indication.
Il resterait à identifier précisément l’édifice religieux.
A Iteuil le prieuré de Mougon est connu ; la chapelle des Bourdille apparaît dans des textes ; aux villages d’Aigne de la Troussaie et de Bernay il y avait des prieurés et/ou des chapelles. Mais rien ne permet de rattacher le sceau à l’un ou l’autre de ces hameaux. Sur le cadastre napoléonien on ne trouve à Iteuil aucun lieu, aucun champ, faisant référence à une chapelle disparue. Là encore on ne peut pas avoir de réponse, de localisation. La recherche reste ouverte.
Louis Redet dans son dictionnaire toponymique de la Vienne fournit plusieurs autres écritures d’Iteuil, Estolio en 954, Istaol en 1108-1115, Ytolium en 1283, Ytuel 1324, Ytuilg en 1335, Ytuil en 1372, Yteuyl en 1398, Yteuil-Iteuil en 1400, Itueilh en 1426, Iteuilh en 1454, Isteuil en 1479, Ysteuil en 1596.
Dans son Pouillé Beauchet-Filleau cite les chapelles et prieuré de St-Etienne fondé par le sieur Bourdeil, de Mougon-Meugon et de la Troussaie. Jacques MELIN dans son excellent et érudit livre « pages d’Iteuil » parle des différentes chapelles et autres prieurés de cette commune. Il cite en particulier la chapelle en ruine du manoir de Bernay (pages 48 à 51), dont il ne reste que quelques morceaux, chapelle que l’historien LONGUEMAR cite comme ayant le vocable « Précurseur de Notre Seigneur » c’est un bon candidat pour être la chapelle-Dieu du sceau. Il parle aussi de l’ancien château d’Iteuil, de la seigneurie du même nom créé entre 1000 et 1100 selon ses dires (pages 63-64), décrit comme un tas de pierres dans un procès-verbal de visite daté du 06 mai 1653. Y-avait-il une chapelle dans ce château ? Était-elle notre chapelle-Dieu ?
Sur le cadastre Napoléon de 1825 (sources AD86), on voit apparaître un rond avec l’appellation « le Feuvé » correspondant à l’emplacement circulaire d’un château refuge du haut moyen-âge, à l’origine une simple enceinte en rondin de bois sur une motte entourée d’un fossé et s’appuyant sur le dénivelé du terrain d’un côté, qui fut ensuite fortifiée de murs en pierres. C’est le château d’Iteuil de la seigneurie du même nom. Sur une vue aérienne actuelle du bourg d’Iteuil, la construction de lotissements, l’installation d’une école, font que le cercle a en grande partie disparu, on ne distingue plus grand-chose si ce n’est l’arc de cercle correspondant au « passage Feuvet ».
Avec toutes les précautions d’usage, en attendant confirmation ou non, la Chapelle de Dieu doit être très probablement soit celle de Bernay, monument que les éléments architecturaux permettent de dater du 14e siècle ou avant selon Jacques MELIN, soit celle du château d’Iteuil. Le lieu de la découverte dans un jardin d’une maison chemin des Jonchères ne permet guère de privilégier l’une ou l’autre des possibilités.
Je remercie chaleureusement monsieur J.C.P. qui a eu la gentillesse de me montrer et de me faire découvrir cette très belle matrice de sceau
(1) Centre d’études supérieures de civilisation médiévale
Sources : « Pages d’Iteuil » de Jacques MELIN, broché 207 pages, publication 1996
Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
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