C’est au détour d’une recherche dans les registres paroissiaux en ligne des Archives départementales de la Vienne, que je suis tombée sur un acte qui a littéralement stoppé mon regard.
Il s’agit d’un acte de baptême en date du 18 novembre 1736, sur le registre paroissial de Pleumartin. Le baptisé est Philippe André, dit « fils de Pierre hibou américain » et de Louise BÉLANGEARD. Si je déchiffre bien, les parrain et marraine sont André PINOT et Magdelene GILBERTON. Je n’ai pas trouvé trace de Louise, la mère, mais seulement deux occurrences de « Bélangeard » sur Généanet, à Pleumartin également, et la même chose sur Filae…
J’ai tout imaginé pour expliquer ce « hibou américain » : un père facétieux qui veut jouer un tour au curé du village, une profession itinérante (forain, colporteur, etc.), un vin de messe un peu trop fort, une ouïe défaillante, tout était possible ! Mais plus sérieusement, je pensais aussi que ce Pierre pourrait fort bien avoir été ramené d’une expédition en Amérique par un explorateur ou un marchand. Faute de trouver d’autres documents, cette hypothèse me semblait difficile à confirmer.
Le mystère a pu être résolu grâce à plusieurs généalogistes qui m’ont donné un coup de main très apprécié.
En réalité, si le curé avait respecté les règles d’orthotypographie actuelles, il aurait écrit sur cet acte de baptême : « Pierre Hibou, Américain » et ça aurait fait sens, sans pour autant résoudre complètement l’affaire, car que pouvait bien faire un Américain en 1736 à Pleumartin ?
Pour commencer, la blogueuse « D’ors et d’arts » (voir site « Per mare, per terras ») a trouvé l’acte de décès du petit Philippe André, daté de juillet 1738 « âgé de deux ans environ », ainsi que l’acte de baptême d’un autre garçon, Laurent Pierre, né le 10 mai 1734, dont le père est nommé « Pierre hibeau américain ». Je n’ai rien trouvé d’autre sur ce second garçon.
J’ai trouvé l’acte de mariage des parents où on lit la signature de Pierre : « Pierre nègre américain » à côté de celles de membres de la famille du marquis de Pleumartin.
Pierre venait donc bien d’Amérique, il avait probablement été ramené par une expédition. Le fait que ce soit un Noir, peut-être un ancien esclave, rend sa présence dans la Vienne encore plus étonnante. Toutes les questions que je me posais sur cette présence, ce mariage, l’origine de son nom, les signatures sur l’acte de mariage, etc. ont trouvé leur réponse dans un passionnant article des Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest (ABPO) rédigé par Sébastien Jahan, maître de conférences en histoire moderne à l’université de Poitiers, et intitulé Les Noirs en Haut-Poitou au XVIIIe siècle, qui m’a été fourni par D’ors et d’arts. J’y ai appris, entre autres, que ces années-là, il y avait 3 Noirs répertoriés en Poitou, le Pierre qui nous intéresse, un dénommé Thomas Ismaël qui accompagnait un régiment irlandais et une jeune femme, Louise Thisbée, vraisemblablement ramenée de Saint-Domingue par un colon châtelleraudais revenu mourir sur ses terres natales. Il explique également que l’origine du nom retranscrit en « Hibou » ou « Hibault » pourrait venir du nom d’une ethnie ibo de l’ouest de l’actuel Nigeria.
Je mets la référence de l’article en bas de page, ne vous privez pas de cette lecture !
Je n’ai pas réussi à trouver l’acte de décès de Pierre, certaines pages des registres de Pleumartin pour l’époque sont en très mauvais état. Louise, son épouse, est décédée en 1747. Elle est appelée Deslandes (comme dans l’acte de mariage où il est précisé que c’est une erreur), mais elle est dite « veuve de Pierre Hibault », donc on peut penser que c’est bien elle. A priori, ce couple n’a pas eu d’autre descendance que les deux fils mentionnés en début d’article, le premier mort en bas âge et le second qui n’a pas laissé de trace.
Référence : https://abpo.revues.org/1768