Bon pied, bon oeil à 100 ans !

Paysan, gravure de Jacques Adrien Lavieille,

« Paysan » par Jacques Adrien LAVIEILLE (1818-1862), illustration pour la « Comédie humaine » d’Honoré de BALZAC

En 1900, l’Insee estimait qu’il n’y avait qu’une centaine de personnes ayant atteint plus de 100 ans. En 2016 on en dénombrait près de 21 000. L’évolution de la médecine et des conditions de vie a permis d’améliorer considérablement l’espérance de vie. Mais en 1700 nos ancêtres pouvaient ils espérer atteindre un si grand âge et surtout « jouir de la meilleure santé et de tout son bon sens » ? C’est ainsi qu’est décrit un centenaire de La Chapelle-Montreuil le 24 mars 1774 dans les Affiches du Poitou (cf 24 mars 1774 pages 27/29, reproduit en respectant l’orthographe d’origine) :

« Il existe actuèlement dans la paroisse de la Chapelle-Montreuil-Bonnin, à 3 lieues & demie de Poitiers, un vieillard nommé Simon Millet, qui a eu 100 ans révolus le 16 Octobre dernier. Ce vieillard n’est point courbé, il a toujours été extrêmement vigilant& laborieux ; il est d’un tempérament sec, jouit de la meilleure santé & de tout son bon sens, & n’a d’autre infirmité que d’être très sourd ; il tient encore le timon de la communauté qui subsiste entre lui, ses enfans & petits enfans, au nombre de douze ; il vaque journèlement au labourage, & au soin des bestiaux, qu’il ne croiroit pas bien traités s’il n’y mettoit la main ; il a fait cette année, comme les précédentes, une grande partie de ses emblaisons ; il fait volontiers trois & quatre lieues à pied, & monte seul à cheval ; il a la vue excellente, & la main si sûre qu’il se rase lui même ; il est dans l’usage, & il le fit encore l’année derniere, malgré les représentations de ses enfans, de coucher sous une cabanne, depuis environ la St Jean, jusqu’à la fin de Septembre, dans l’aire où on réunit les objets de la récolte, à la conservation desquels il veut veiller lui-même, ayant son chien auprès de lui. Il fit encore l’année derniere un acte de force que n’avoit pu faire un homme de 20 ans ; il chargea seul sur ses épaules un sac de blé pesant 120 liv, & le monta dans un grenier, où on se peut aborder que par une échelle ; il est né dans la métairie qu’il exploite, & y a toujours demeuré. »

Nous avons retrouvé la trace de ce Simon MILLET dans les registres. Il est décédé le 28 janvier 1779 à La Chapelle-Montreuil à l’âge de 108 ans. Lors de son inhumation étaient présents ses enfants Jean et François MILLET et son petit-fils Louis SAPIN.

Si l’on tient compte de ces deux sources, Simon MILLET serait peut être né un 16 octobre entre 1671 et 1674. S’il est effectivement né à La Chapelle-Montreuil, nous ne pourrons pas confirmer sa date de naissance puisque les archives en ligne de cette commune ne démarrent qu’en 1732 !

Et vous, avez-vous rencontré des centenaires parmi vos ancêtres dans la Vienne ? 

Accoucheuse jusqu’à son dernier souffle

Le 15 avril 1773, les Affiches du Poitou rendent hommage à une centenaire de Jardres.

« La nommée Françoise Bodin, veuve en troisièmes noces de Pierre Multeau, maréchal au village de Pressac, Paroisse de Jardres, à une lieue de Chauvigny, est morte depuis peu, âgée d’environ 105 ans, sans avoir eue jamais aucune maladie, pas même la petite vérole, ni la rougeole. Son premier état, jusqu’à l’âge de 25 ans a été celui de Couturière, & depuis jusqu’à l’âge de 102 ans, elle n’a exercé que celui d’accoucheuse. Elle n’a eu d’autre infirmité pendant toute sa vieillesse qu’un peu de surdité. Elle n’est morte que parce que la nature défailloit, & sans douleur ; elle travailloit encore 10 jours avant sa mort, & elle a joui de toute sa raison jusqu’au dernier moment. »

Françoise BODIN a été inhumée le 23 mars 1773 à Bonnes en présence de Pierre DION, François ORILLARD, Marie DION et Magdeleine DION (AD 86 – BMS 1761-1773 vue 118). Elle était dite âgée de 100 ans sur son acte d’inhumation.

Elle avait épousé Pierre MULTEAU, maréchal, le 24 septembre 1720 à Chauvigny (AD 86 -BMS 1713-1720 vue 95). Elle avait alors une cinquantaine d’années. Son époux était décédé depuis le 11 avril 1748 à Jardres (BMS 1737-1751 vue 60) et avait épousé auparavant Jeanne MOREAU, en premières noces, le 08 janvier 1645 à Chauvigny (BMS 1693-1713 vue 25) et Marie NEGRIER, en secondes noces, le 12 février 1703 à Poitiers (BMS 1702-1704 vue 31).

Françoise BODIN semble avoir eu une longue carrière en tant qu’accoucheuse et ce jusqu’aux derniers jours de sa vie. Son expérience et sa pratique avaient sans doute été reconnus par la communauté.

***

L'art de l'accouchementDurant tout le moyen âge, les « accoucheuses » n’étaient pas formées et avaient peu de connaissances théoriques. Ces femmes étaient désignées par le terme de « matrones » ou « ventrières ». A cette époque, la matrone devait aider les femmes à mettre au monde leurs enfants mais elle exerçait également un rôle social et religieux (présentation de l’enfant sur les fonts baptismaux).

Elle était souvent âgée et désignée par l’ensemble des femmes de la paroisse en présence du curé. N’importe qui pouvait prétendre être matrone : pour assister une femme en couches, il fallait avoir subi soi-même l’épreuve de l’accouchement. Le fait d’avoir une nombreuse progéniture qualifiait d’autant plus pour cette fonction. A défaut de mère de famille, la femme mariée sans enfant pouvait être acceptée par la communauté et le curé pour qui le mariage était un gage de moralité.

Angélique Marguerite du COUDRAY (1712-1794)

Angélique Marguerite du COUDRAY (1712-1794)

Au XVIIIe une femme va révolutionner l’enseignement de l’accouchement. Munie d’un brevet royal délivré par Louis XV qui l’autorise à donner des cours dans tout le royaume, Angélique Marguerite du COUDRAY va entreprendre à partir de 1759 un voyage de 25 ans à travers toute la France pour enseigner l’art de l’accouchement. Elle va publier un « Abrégé de l’art des accouchements » qu’elle va illustrer de gravures en couleur et concevoir le premier « mannequin obstétrique ». Au cours de la formation qui durait deux mois les élèves étaient invitées à s’exercer sur le mannequin. Cet enseignement pratique du geste obstétrical correspondait à la volonté d’Angélique du COUDRAY de rendre ses leçons « palpables » puisqu’elle s’adressait à des femmes de la campagne peu instruites et « des esprits peu accoutumés à ne rien saisir que par les sens ». Ces formations vont contribuer à une importante diminution de la mortalité infantile.

Les bienfaits de cet enseignement sont ainsi présentés dans les Affiches du Poitou le 25 février 1773 dans un article intitulé « Cours public & gratuit sur l’art de l’accouchement« .

« Le public est averti que le sieur Maury, Maître en chirurgie de la ville de Poitiers, y commencera les leçons publiques & particulières sur l’art des accouchements le 15 du mois de mars prochain, & se servira pour les démonstrations de la machine composée par la Dame du Coudray, Maîtresse sage-femme de Paris, brevetée du Roi ; auxquelles leçons seront reçues gratuitement les élèves qui se présenteront tant des villes que des paroisses de campagne, même celles que les seigneurs des paroisses, les officiers municipaux des villes, & habitants de gros bourgs jugeront à propos d’y envoyer, pour se former ; à la charge de représenter avant leur admission, un certificat du curé ou vicaire de leur paroisse, qui constate leurs bonnes vie & mœurs. Cet établissement dont on a ressenti jusqu’à présent les meilleurs effets, a pour but un objet trop précieux à l’humanité, pour n’être pas persuadé qu’on s’empressera à en profiter. »