#ChallengeAZ │ O… Un coeur en Or à Notre-Dame-d’Or

Notre-Dame-d’Or, petite bourgade du Nord-Vienne, est connue pour sa statuette de la Vierge en Or, dont chaque habitant croit connaître l’endroit où elle est cachée. Le village est aussi renommé depuis le milieu du 19e siècle lorsqu’un agriculteur local y découvre un trésor aujourd’hui exposé au musée Ste-Croix à Poitiers. Les nombreux hectares de vigne, avant d’être ravagés par le phylloxéra au début du 20e siècle, participent aussi à la notoriété de la Commune à ce moment-là

Mais calée entre le Puy de Mouron et la Motte de Puitaillé, deux monticules que la légende attribue au décrottage des bottes de Gargantua, Notre-Dame-d’Or éveille aussi la curiosité par un fait divers survenu en mai 1891 et presque oublié de nos jours. Et aujourd’hui, alors que l’égoïsme laisse le monde indifférent, cette histoire mérite d’être rappelée, pour montrer que la valeur n’attend pas le nombre des années.

« Le 05 mai 1891, trois fillettes de Notre-Dame d’Or, Florentine GUILLOT, 9 ans, Aurélie MOREAU, 5 ans et Lucie MOINE, qui n’a pas encore 2 ans, s’amusent dans la cour de la maison d’habitation des parents GUILLOT (située route de Frontenay et aujourd’hui détruite). Tout à coup, la petite Lucie tombe dans une cuve pleine d’eau. Aux cris poussés par la petite, la jeune Florentine GUILLOT, qui s’est momentanément éloignée, accourt et est assez forte pour retirer hors de la cuve la petite Lucie, qui en a été quitte pour une grosse peur. »

Florentine GUILLOT, vers 1920,
qui a évité la noyade à Lucie MOINE © photo collection famille M. L. THOMAS

Lucie MOINE, vers 1940, sauvée des eaux © photo collection L. MOINE

Les journaux de l’époque ne relatent apparemment rien du tout. L’histoire aurait pu en rester là. Mais l’affaire remonte jusqu’à l’Académie qui inscrit sur un « Livre d’Honneur des actes de courage et dévouement » le nom de Florentine GUILLOT, accompagné d’un « Tableau d’Honneur » du même nom, affiché dans l’école du village. Pour compléter le tout, un diplôme et la médaille d’argent sont attribués à la jeune Florentine. C’est de ce « Livre d’Honneur » que nous vient le récit détaillé du sauvetage.

Tableau d’Honneur figurant dans l’ancienne classe de Notre-Dame-d’Or aujourd’hui salle des fêtes © photo R. ARCHAMBEAULT

Livre d’Honneur des actes de courage et dévouement de Notre-Dame-d’Or © photo L. MOINE

Mais d’où nous vient cette procédure?

Ces récompenses pour actes de courage et dévouement semblent tomber en désuétude à la fin du 19e siècle. La consultation des bulletins mensuels de l’Instruction Primaire de la Vienne de l’année 1891, conservés aux Archives Départementales de la Vienne, nous apportent quelques précisions. Ces actes de bravoures sont mentionnés régulièrement dans lesdits bulletins. Toutefois, dans celui numéroté 104 de mai-juin 1891, on y trouve une lettre de l’Inspecteur d’Académie écrite le 14 mai au Préfet de La Vienne pour les remettre au goût du jour. Déjà, dans un précédent rapport, le sujet avait été évoqué. Là, l’Inspecteur d’Académie passe carrément aux propositions en y ajoutant un caractère plus solennel.

Il semble évident pour le corps enseignant, consulté par ce dernier, que la meilleure façon d’enseigner la probité, la bravoure, l’abnégation, c’est d’honorer ceux qui ont montré l’exemple, et que l’école, pour ceux qui la fréquentent à ce moment-là, est le meilleur endroit pour le rappeler. Ne nous y trompons pas, l’objectif est aussi d’encourager les enfants à « faire preuve d’intrépidité, de sang-froid et de courage » tels que « la patrie pourrait en avoir besoin sur les champs de bataille. » Quand on connaît l’esprit de revanche envers l’Allemagne avec la perte de l’Alsace-Lorraine, outre le caractère solennel de l’acte, l’argument présenté par l’Inspecteur d’Académie est imparable. Ses propositions sont présentées pour application dans une circulaire par le Préfet de la Vienne dès le 25 mai 1891.

Ici, il faut  laisser parler Vincent Olivier sur le site « Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest » dont voici un extrait :

« Le département de la Vienne est doté à partir des années 1890 d’une mesure tout à fait originale, dont l’équivalent ne semble pas exister dans les départements voisins. Le 25 mai 1891, le préfet de la Vienne institue le livre et le tableau d’honneur « destinés à conserver à l’école même le souvenir des belles actions accomplies par les enfants de nos écoles ». […] Ainsi, dès qu’un écolier se signale par son intrépidité et sa bravoure, outre qu’il reçoit la lettre de félicitations officielle coutumière, le récit de l’exploit est inscrit à jamais à la fois dans ce feuillet délivré gratuitement pour l’occasion au directeur de l’établissement et dans un numéro du Bulletin départemental de l’instruction primaire du département de la Vienne. […] Dans cette volonté « d’encourager chez les petits écoliers les sentiments d’honneur, de courage et de dévouement », comme le signale l’inspecteur d’académie de Poitiers, l’attribution des félicitations revêt généralement un caractère solennel et se déroule au sein même de l’établissement où l’enfant est scolarisé. »

Et on peut supposer que notre Lucie est une des premières bénéficiaires de ces mesures. Malheureusement, la preuve est impossible à apporter, car il manque, dans la compilation des bulletins de 1891, le numéro 107, qui est probablement celui où est rappelé son acte de bravoure. Les autres bulletins jusqu’en 1895 n’en parlent pas.

On ne sait pas si Lucie sera reconnaissante plus tard envers Florentine. Toutes les deux ont connu des fortunes diverses et la vie ne les a pas épargnées.

Que sont-elles devenues?

Florentine GUILLOT, née en 1882, se marie avec Onésime DEPOYS en octobre 1901 à Notre-Dame-d’Or et aura un seul enfant, André, né en 1902. Ce dernier se marie tardivement, en 1944, avec Cécile GUILLOT, veuve de guerre de Marcel THOMAS, tué aux combats de 1940. Florentine, en mal de descendance, considère alors le fils qu’a déjà Cécile, Hubert THOMAS, âgé de 14 ans, comme son propre petit-fils. Hubert devient à son tour père d’une fille en 1959 et Florentine l’accueillera ainsi comme « son » arrière-petite-fille. Mais la joie est de courte durée. Florentine s’éteint en 1962 à Notre-Dame-d’Or, à 80 ans.

Quant à Lucie MOINE, sauvée des eaux, elle est la seule fille de la famille au milieu de trois frères: Lucien, Maurice et Achille. La maison de ses parents existe toujours, au 4, route de Frontenay. Elle épouse Edmond PELET, menuisier de son état en avril 1907 à la Grimaudière où ils vont désormais habiter. Edmond, qui comme tout bon menuisier qui se respecte, « fait la sieste dans les cercueils qu’il fabrique, pour voir si on est bien dedans », me raconte son petit-fils en cette fin mai 2018 ! Edmond et Lucie auront deux enfants: Yvette future TERRIOT et Joseph. Malheureusement, la guerre 14/18 fauche les deux premiers frères de Lucie, Lucien et Maurice. Couturière déclarée, Lucie apprend le métier aux jeunes filles du village. Joseph, le fils, apprend le métier de menuisier, mais pour ne pas subir l’influence du père, finit par devenir gendarme. 

Hélas, Lucie meurt le 09 août 1941 à La Grimaudière, à l’âge de 52 ans, suite à un AVC. Joseph, le fils gendarme qui est en poste à Modane (Savoie), apprend la nouvelle et rentre en train jusqu’à Poitiers puis en vélo jusqu’à La Grimaudière. On imagine le parcours en temps de guerre avec la ligne de démarcation à franchir et un trajet de 45 km en vélo en plein été…. A son décès, Lucie n’a pas sauvé de vie pour, si on peut dire, « rembourser » sa dette. La postérité va s’en charger.

Joseph est au service des autres et à la protection de chacun. Mieux encore, plus tard, les deux enfants de Joseph deviennent médecins. Ils vont protéger et sauver des vies jusqu’à leur retraite récente. Lucie, sauvée de la noyade, à travers sa descendance, peut être tranquille là-haut.

Florentine et Lucie sont nées dans deux maisons séparées de 10 mètres l’une de l’autre. Aujourd’hui, elles reposent toutes les deux dans le cimetière de Notre-Dame d’Or, à 10 mètres aussi l’une de l’autre, inséparables dans la vie, inséparables pour l’éternité.

Le lieu de l’accident du 5 mai 1891 à Notre Dame D’Or © photo R. ARCHAMBEAULT

Le cimetière de Notre-Dame d’Or où reposent Lucie MOINE et Florentine GUILLOT © photo R. ARCHAMBEAULT

Non sans une pointe d’humour, un des petit-fils, médecin local rencontré récemment, termine l’évocation d’une grand-mère qu’il n’a pas connue par: «C’est un problème que de tomber à l’eau dans notre famille. Je suis moi-même tombé dans un des bras de la Dive à La Grimaudière à l’âge de 3 ou 4 ans, vers 1955, sauvé en cela par un des ouvriers de la scierie toute proche. Par la suite, je suis même devenu son médecin !»

De nos jours, les règles de détails relatives à ces récompenses sont définies dans l’instruction n°3918 du 18 septembre 1956 et la circulaire du 14 avril 1970. Le critère à retenir pour l’octroi de la médaille pour actes de courage et de dévouement est la notion de risque certain encouru par le sauveteur à l’occasion d’un acte précis de courage et de dévouement. Il existe différentes récompenses graduées :

  • Lettre de félicitations
  • Mention honorable
  • Médaille de Bronze
  • Médaille d’Argent de 2ème classe: la médaille d’argent est décernée exclusivement aux titulaires de la médaille de bronze qui ont, à nouveau, fait preuve de courage et d’abnégation
  • Médaille d’Argent de 1ère classe
  • Médaille de Vermeil
  • La Médaille d’Or n’est généralement accordée qu’à titre posthume.

 

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#ChallengeAZ │ F… Frontenay-sur-Dive, un crime presque parfait à la Bizardrie

Vers 1970, la découverte, dans un vieux dictionnaire familial, d’un article de journal soigneusement découpé, sans date de référence et passablement jauni, m’interpelle.

Fait divers à Frontenay-sur-Dive près de Loudun : un vieillard tue sa femme et se fait justice

C’est par cet article que tout a commencé. ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

– « Maman, c’est quoi? »
– « Tu connais pas, c’est l’article qui parle de Pierre Lestin, une sombre histoire dans la commune. Ça a fait beaucoup de bruit à l’époque.« 

Ainsi commence pour moi le récit d’une affaire qui intrigue encore mon village natal. J’ai conservé une copie de ce document et le hasard de recherches généalogiques m’amène de nouveau, 80 ans après cet épisode, à enquêter sur cette affaire, même si la mémoire transmise peut être fragile. A partir des journaux de cette période-là, de témoignages de personnes proches, aujourd’hui disparues ou encore de ce monde en 2018, toutes vivantes au moment des faits, il est assez facile de reconstituer les événements. Par contre, il est plus difficile d’élucider les mystères évoqués par certains et encore moins de faire taire la rumeur, à moins que ce ne soit la réalité…

Le 15 décembre 1938, Frontenay-sur-Dive, paisible localité du nord-ouest de la Vienne, se réveille dans la stupeur. Pierre Célestin CORVAL, dit Pierre Lestin et son épouse Germanie, née THOMAS, sont retrouvés morts dans leur domicile de la Bizardrie ! C’est un proche, André, qui a prévenu la gendarmerie et à la découverte des corps, le suicide est l’hypothèse la plus probable.

Les époux Corval sont honorablement connus.

Frontenay-sur-Dive, fait divers à la Bizardrie impliquant Pierre Célestin CORVAL et son épouse Germanie THOMAS

Pierre Célestin CORVAL et Germanie THOMAS ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Pierre Lestin commence un premier mandat de conseiller municipal en 1892 à 27 ans. Il entame un second mandat en 1900 après une pause de 4 ans puis devient adjoint au maire de 1904 à 1908, le maire étant aussi un CORVAL, Jules, un lointain cousin. Après une seconde pause de 1908 à 1925, il reprend encore du service comme conseiller municipal, étant le doyen d’âge de cette assemblée, de 1925 à 1929 et de 1929 à 1935.

Pierre Lestin et son épouse se constituent, au fil du temps, un patrimoine non négligeable. Ils louent leurs terres à Edmond AUBRY, un de leurs proches voisins et ne manquent financièrement de rien.

Alors pourquoi cet acte de désespoir?

L’origine de l’affaire, si on peut dire, remonte à 1914 et à cette putain de guerre. Avant cette date déjà, la vie n’épargne pas la famille de Pierre Lestin. Son père Victor meurt deux ans après sa naissance, le 21 août 1867, à 29 ans. Le 09 janvier suivant, sa mère Marie THIOLLET accouche de jumeaux qui ne vont vivre que quelques mois seulement. Elle reste seule pour élever son fils.

En 1889, Pierre Lestin et Germanie se marient à Notre-Dame d’or, le village d’à côté. S’ils habitent à Frontenay-sur-Dive, c’est toujours à Notre-Dame-d’Or, chez sa grand-mère THOMAS, que leur enfant unique, Damien, naît en 1890.

CORVAL Damien mort pour la France © Mémoire des Hommes

Voilà 1914. Marié le 06 juin à Olga CHARPENTIER dans un autre village voisin, Damien est envoyé au front dès le 03 août suivant. Son régiment, le 113e RI de Blois, est quasiment anéanti le 22 août 1914 à Signeulx (Belgique, lors de la Bataille des Frontières). C’est le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France avec 27000 soldats tués aux combats. Damien y est porté disparu.

==> Pour en savoir plus sur la bataille de Signeulx : consulter « 22 aout 1914 le 113e à Signeulx » une enquête en Belgique par HUBERT-FILLAY, éditeur E. FROGER, Blois, 1921

Après de vaines recherches auprès du Comité International de la Croix-Rouge à Genève et Annecy entre autres, le tribunal de Loudun déclare « constant » le décès du fils chéri en 1920. Marie(*), de Messais, proche de Frontenay-sur-Dive, début mars 2018, me précise : « ma mère, cousine issue-de-germain de Damien CORVAL, m’a souvent dit que les parents de ce dernier ne se sont jamais remis de la mort de leur fils« . Pour les parents CORVAL, sans dépouille, difficile de faire leur deuil.

Ce n’est qu’en avril 2014, presque 100 ans après sa disparition, que j’ai connaissance du « parcours » de sa dépouille. Depuis 1922, après trois sépultures provisoires en Belgique, Damien CORVAL repose dans une fosse commune à la nécropole de Gorcy (54). Je m’y rend le 22 août 2014 en « pélerinage », 100 ans jour pour jour après son décès et dépose sur la fosse commune un peu de terre de son village d’enfance. L’épouse de Damien, Olga, qui habite St-Jean-de-Sauves sa vie durant et la famille de Damien ne l’ont apparemment jamais su. Cette information m’est confirmée en mai 2014 par Alphonsine(*), 93 ans, fille d’Olga qui s’est remariée avec André ROBINEAU, celui qui prévient la gendarmerie ce 15 décembre 1938.

Propriétaires aisés, sans héritiers directs, Pierre Lestin et Germanie deviennent alors les bienfaiteurs du village. Ils financent en 1920 le Monument aux Morts qu’ils donnent officiellement par écrit ensuite à la Commune en 1925. Six ans plus tard, le 15 mars 1931, Pierre Lestin offre un corbillard à la municipalité, avec le seul engagement de l’utiliser sans la moindre distinction de parti ou d’opinion de la personne décédée. Et c’est Ernest RIDOUARD, 58 ans, le 08 mai 1935, qui « inaugure » ledit corbillard qui sert jusqu’en 1976 et croupit depuis, inexorablement, dans un local attenant au cimetière.

Frontenay-sur-Dive, corbillard offert par les époux CORVAL en 1931

Le corbillard offert par les époux CORVAL à la commune de Frontenay-sur-Dive en 1931. Il sera utilisé en 1973 dans le film « pleure pas la bouche pleine » de Pascal THOMAS, cinéaste né à Saint-Chartres, près de Frontenay. En arrière-plan, le bâtiment qu’il a fallu construire pour accueillir le corbillard, d’un coût de 3412Frs. © photo : R. ARCHAMBEAULT ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Les faits relatés dans la presse

L’article du 15 décembre 1938 que j’ai récupéré et dont je n’arrive pas à retrouver l’original du journal aux Archives de la Vienne, précise que des voisins entendent un coup de feu le 14 décembre vers 18 heures et un autre le lendemain matin vers 4h. Selon le journal « l’Avenir de la Vienne » du 16 décembre 1938 et l’hebdomadaire « La Semaine » du 18 décembre suivant, devant les faits indiscutables et un courrier annonçant leur intention de mettre fin à leurs jours, le parquet conclut au suicide et n’ordonne pas d’autopsie. Des journaux non locaux semblent mieux informés. « Le Populaire de Paris » et « L’Ouest Eclair de Rennes » annoncent que Germanie souffrait de troubles mentaux et que Pierre Lestin avait décidé de la supprimer, puis de se suicider.

Les dimanches suivants, le chemin menant à la maison des époux CORVAL devient un lieu de « promenade », « mais on ne peut rien voir, la maison est sous scellés« , me raconte Irène(*), 89 ans, en décembre 2017. Alphonsine(*), la fille d’Olga, 96 ans passés, que j’ai eue au téléphone courant 2018, toujours bon pied bon œil, a retenu que « Pierre Lestin tue sa femme, puis se suicide« . Elle a 17 ans à l’époque des faits et n’oublie pas cette tragédie, car elle se rend régulièrement avec ses parents chez les époux CORVAL. Alphonsine(*) se souvient aussi que, après ce drame, sa mère Olga ne lui parle jamais de cette affaire, et ne peut en conséquence aujourd’hui expliquer le geste de Pierre Lestin. Alphonsine(*) n’a pas non plus le souvenir de troubles mentaux chez Germanie.

Voilà pour la version officielle telle que je la découvre en recherchant les documents d’époque et avec le concours de familiers. Mais une autre version existe, qu’il convient de prendre avec précaution, mais aussi avec intérêt car venant de gens du village qui me sont proches et pour lesquelles la parole est difficile à mettre en doute.

Les anciens de Frontenay se souviennent

Je précise bien qu’il n’est nullement question ici de porter atteinte à la mémoire des disparus, ni de porter un quelconque jugement, encore moins d’affirmer que tous les faits rapportés ci-après sont authentiques. Il s’agit plutôt d’exprimer ce que les habitants ressentent à ce moment-là et d’enregistrer des témoignages (rumeurs ou réalités) qui circulent encore chez les anciens du bourg. Je précise enfin que, si tous les témoignages proviennent de personnes très âgées, toutes sont saines d’esprit, et presque autant de corps.

Officiellement donc, Pierre Lestin tue sa femme qui donne des signes de dérangement mental.

Officieusement, cet argument n’est qu’un prétexte, écrit sur la lettre envoyée le 14 décembre 1938  et reçue le 15 au matin. Ce proche qui reçoit la lettre, c’est André, celui qui prévient la gendarmerie. Nous sommes, en cette fin 2018, toujours en attente du procès-verbal de gendarmerie afin de connaître le contenu de cette lettre, si jamais elle est divulgable. Dans le bourg, tout le monde retient que Pierre Lestin et son épouse Germanie sont en désaccord sur la désignation d’un héritier de leurs biens. L’un souhaite faire hériter leur belle-fille qui s’est remariée, l’autre ne veut pas en entendre parler. Aucun ancien ne m’a rapporté que Germanie était souffrante!

Irène(*), précédemment citée, et Aimé (*), aussi 89 ans, me confirment courant 2018, séparément et sans concertation aucune: « Pierre Lestin était dur en affaires et pas toujours sociable avec sa femme« , et Aimé(*) rajoute : « Pierre Lestin, un enragé de la chasse !« 

Irène(*) et Aimé(*) toujours, ainsi que Berthe(*), 91 ans en 2018, jeunes témoins de l’époque, rapportent que Pierre Lestin, le 14 décembre 1938, fait le tour du village et paie toutes ses dettes, notamment celle du boulanger, généralement payée en fin de mois. « On ne sera pas là ces jours » me rapporte spontanément Aimé(*) avec qui j’évoque cette affaire début 2018, citant Pierre Lestin.

Pour ma mère Denise (1920-1998), laquelle m’a souvent parlé de cette affaire, si Pierre Lestin tue sa femme Germanie le soir et se suicide au petit matin suivant, c’est dans le but de laisser un délai suffisamment long entre les deux décès, pour une question de succession. « Ça lui aurait laissé ainsi le temps de rédiger certains papiers !« , me confirme Irène (*) récemment.

La version que me rapporte Juliette (*), 86 ans en 2007, disparue l’année suivante, est plus surprenante encore. Le jour de l’enterrement, le 17 décembre 1938, les croque-morts procèdent à la mise en bière. Germanie est mise normalement dans son cercueil. Mais son époux, son meurtrier selon les gens du village, y aurait été mis allongé sur le ventre, face contre le fond, façon de marquer, même dans la mort, une certaine humiliation pour le crime commis.

Comment sont emportés les cercueils vers l’église distante de huit cent mètres ?

Joseph(*), 88 ans en cette année 2018, se souvient d’avoir accompagné, en tant qu’enfant de chœur, un seul cercueil de la maison CORVAL vers l’église, pas deux. On lui a bien parlé d’un suicide dans cette maison, mais à 7 ans, il lui est probablement difficile d’appréhender la situation. Qui dit enfant de chœur dit religion, c’est donc le corps de Germanie que suit Joseph(*) ce jour-là, car il n’est pas question de faire rentrer le cercueil d’un suicidé, qui plus est d’un assassin dans l’église. Ce fait m’est confirmé par ma mère Denise depuis mon enfance jusqu’à sa disparition en 1998 et par Aimé(*) début 2018. Et peut-être que le corbillard offert à la commune par Pierre Lestin n’a pas servi pour Pierre Lestin lui-même. Un comble, dans cette malheureuse histoire, que je rajoute, sans aucune certitude.

Juliette(*) me rapporte en 2007 les propos de son entourage. Le cercueil de Pierre Lestin attend dehors pendant que celui de son épouse Germanie reçoit l’hommage des villageois. Mais rien ne ressemble plus à un cercueil qu’un autre cercueil ! Et plusieurs témoins affirmeront plus tard que c’est celui de Pierre Lestin qui rentre dans l’église et non celui de son épouse !

Une fois la cérémonie terminée, on emporte dans le cimetière le cercueil passé par l’église. Puis tout le monde rentre chez soi, laissant aux croque-morts le soin d’enterrer le second cercueil sans cérémonie et peut-être en le passant par-dessus le mur, comme c’était la coutume jadis. Ce qui est sûr par contre, c’est que mon arrière-grand-père, Léon PANIER, le patriarche de la famille, rentrant chez lui soudain se ravise : « je ne pouvais laisser mon camarade de communion partir comme ça ! », racontera-t-il plus tard à sa petite-fille Denise, ma mère donc. Et il retourne assister à l’inhumation de Pierre Lestin.

Rumeurs ou réalités. Certains faits évoqués sont sujets à caution, d’autres incontestables, tel ce document que j’ai retrouvé récemment dans la famille du sacristain, Ernest COUILLEBAULT : il est demandé par la famille un service de grande 1ère classe d’un coût de 182 francs, accompagné de deux couronnes de 118 et 138 francs de l’époque pour Germanie… Rien n’est demandé pour Pierre Lestin !

Les époux CORVAL sont enterrés ensemble. Leur tombe existe toujours à Frontenay-sur-Dive. Je n’y ai jamais vu de fleurs, mais la plaque avec leurs noms, leurs années de naissance et de décès a été rénovée il y a quelques années.

Frontenay-sur-Dive, cimetière, sépulture des époux CORVAL

Sépulture des époux CORVAL, cimetière de Frontenay-sur-Dive © photo R. ARCHAMBEAULT ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Quant à leur maison, elle est rapidement revendue à un couple du village qui vient de voir partir la sienne en fumée juste avant ou au début de la guerre 39/45. La maison de l’horreur devient alors la maison de la gaité, car c’est ici qu’on organise dans la grange attenante les bals clandestins de la commune pendant ladite guerre.

Un peu de généalogie

Bizarrement, le nom de CORVAL qui apparaît jusqu’à une trentaine de fois sur les différents recensements avant et après 14/18 disparaît presque totalement après 39/45 à Frontenay-sur-Dive. 

Une recherche rapide sur Geneanet m’a permis de découvrir l’ascendance de Pierre CORVAL et retrouver des personnes de sa famille. J’ai ainsi pu rechercher des descendants des branches collatérales du côté CORVAL que j’ai rencontrées pour évoquer ce drame.

Ascendance de Damien CORVAL d’après Marie Paule PIET (Geneanet)

Par discrétion, même si j’ai une idée des personnes qui ont hérité des époux CORVAL, je ne me suis pas permis de leur en parler.

Pour terminer, l’ampleur des recherches menées me font apparaître comme un lointain cousin de Pierre Lestin et de son fils Damien, copain d’enfance de mon grand-père Joseph DEPOYS, le père de ma mère Denise.

Aujourd’hui, pour les quelques membres de la famille de Pierre Lestin que j’ai contactés, c’est plutôt le silence de leurs parents qui prédomine. Quelques uns, très peu renseignés sur cette pénible affaire, avec les générations qui ce se sont écoulées depuis, ont apprécié que je leur fasse part de mes recherches. En dehors de la famille de Pierre Lestin, les vraies raisons de la disparition des époux CORVAL ne font aucun doute, chacun ayant sa propre idée sur le personnage à double facette, à la fois Docteur Jekyll et Mister Hyde, bienfaiteur de la commune et assassin de son épouse.

(*) Par précaution et par respect, j’ai utilisé des noms d’emprunt pour toutes les personnes qui ont accepté de témoigner et qui sont encore vivantes à l’heure où cet article est publié.

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