L’histoire
La fille Hortense CHOISY, 10 ans, est une bonne petite. Joyeuse et de bonne constitution, elle est placée comme apprentie lingère chez sa tante, la femme GOURGEAU de Genouillé dont l’habitation est située dans la partie haute, au sud du village. Profitant du « chômage des fêtes de Noël », Hortense part à 34 km de là, à Saint-Martin-l’Ars, embrasser sa mère, jeune veuve qui, par nécessité pécuniaire dût placer l’enfant. Noël est triste en ce mois de décembre 1858, la cousine d’Hortense lutte contre une vilaine angine. Hortense l’entoure, la console et, inquiète, la quitte à regret à la fin du mois.
C’est le premier janvier 1859 qu’une douleur vive à l’angle des mâchoires, saisit notre petite apprentie. L’inflammation des amygdales, les nombreux ganglions déforment rapidement son cou, la fièvre et des courbatures intenses l’épuisent. Sa peau devient sèche, chaude, la déglutition se fait de plus en plus difficile. Le médecin appelé cautérise les lésions au nitrate d’argent, déjà des plaques pseudo-membraneuses tapissent les amygdales. Au 4ème jour, les fosses nasales sont à leur tour envahies, l’air pénètre difficilement, Hortense étouffe. L’aspect de la gorge devient « effrayant », les lésions noircissent et la pauvre enfant succombe asphyxiée, au 7ème jour. La femme GOURGEAU épuisée, pleure : elle aimait cette enfant comme sa fille. Autour d’elle, le sacristain PINGAULT et la femme ROGEON, sa petite au sein ont accompagné ces quelques jours de lutte. La femme GOURGEAU ne tarde pas à son tour à ressentir les premiers symptômes, elle survit tandis que le fils du sacristain succombe en quelques jours.
Le 26 janvier, le mal frappe le fils de l’instituteur, Justin MONTAGNE, 7 ans, malgré les soins du Dr VERGER, l’enfant meurt après six jours d’une « angine des plus intenses ». La contagion a désormais gagné l’école, par les petits élèves, elle va s’étendre vers les hameaux environnants. Le couple Jean et Joséphine MONTAGNE perd entre février et mai, au cours de cette épidémie quatre de ses cinq enfants. Le 2 février la femme ROGEON s’inquiète. Sa petite ne veut plus téter, son état se dégrade rapidement, étouffée par le mal, elle s’éteint après « une agonie atroce de 8h ».
Le mal porte un nom : Diphtérie. On l’appelle aussi croup. Là où rode la diphtérie, il n’y a ni répit, ni pitié. L’angine d’Hortense a ouvert le pas d’une épidémie funeste qui va s’étendre inexorablement. A Genouillé, « le fléau a pris possession de son domaine, la nature lutte de toutes ses forces contre cet ennemi redoutable, mais au bout de trois jours, à bout de force, elle est obligée de succomber sous ses étreintes cruelles. C’est alors qu’apparaît la diphtérie avec tout le cortège de ses redoutables symptômes ».
17 décès en janvier, 13 en février, 10 en mars, dans un petit village qui compte habituellement une trentaine de décès par an. Les autorités sanitaires sont alertées. Le Dr AUTELLET, médecin des épidémies de Poitiers, vient mener les opérations sur place. Son intervention sera mentionnée dans les délibérations du conseil municipal. Dans le rapport qu’il nous laisse, l’épidémiologiste décrit les signes et les formes cliniques, la progression de maison en maison, la chronologie de cette catastrophe sanitaire ainsi que les traitements tentés. Le sacristain PINGAULT perd deux enfants, l’instituteur en voit mourir quatre. Au total, 177 personnes atteintes, dont 72 enfants. 64 morts dont 46 enfants. Bilan terrible pour ce petit village de 1368 habitants et hélas sous-estimé, car cette année-là à Genouillé, l’état civil mentionne 130 décès, plus d’une dizaine par mois jusqu’en octobre et un pic à 23 décès en mai.
Les communes avoisinantes sont touchées dès juillet, Savigné, Blanzay, 2 à Saint-Macoux, Voulême, Charroux, Civray…
A l’analyse épidémiologique proposée par le Dr AUTELLET, s’ajoutent des conseils de salubrité délivrés aux habitants car « les maisons basses d’étage, creusées dans le sol, mal aérées, humides et laissant pénétrer les eaux pluviales, ainsi que les charrières remplies de fumier » ne sont pas sans lien avec l’installation des épidémies.
Il est des documents d’archives qui se lisent comme un roman, ce trésor de la série 5 M des Archives Départementales en est un. Ancêtre des Pasteuriens, le Dr Pierre Médard AUTELLET, Chevalier de la Légion d’Honneur sera récompensé en 1871 par une médaille d’argent décernée par l’Académie de médecine pour son rapport sur une épidémie de diphtérie qui règna 10 ans plus tard sur la commune de Blanzay. Néanmoins, il ne verra pas l’aboutissement de son travail de recherche et meurt le 1er octobre 1878, 5 ans avant la découverte de la bactérie, 50 ans avant la vaccination antidiphtérique obligatoire pour les enfants de France. Vaccination qui a permis de vaincre cette terrible affection.
Le Corynebactérium Diphtériae est découvert par Klebs et Löffler en 1883. En 1888, Roux et Yersin découvrent la toxine diphtérique. En 1890, Behring et Shibasaburo découvrent l’antitoxine. Roux développe une sérothérapie en 1894. Le premier vaccin antidiphtérique sera développé en 1923 et deviendra obligatoire par la loi du 25 juin 1938, pour les enfants de moins de 18 mois.
Avant la vaccination, la diphtérie (nommée aussi Croup) touchait 5% de la population avec une mortalité de 50 à 100 pour 100 000 habitants par an. En 2015, la diphtérie a touché 4530 personnes dans le monde.
Source : AD86 Série 5 M 18
Pour aller plus loin : dossiers d’archives et outils de recherche
Vous trouverez ici un compte-rendu détaillé des différents documents consultés et quelques éléments d’indexation. Ils vous permettront de compléter vos recherches généalogiques et familiales. Au-delà, ils nous permettent d’en savoir un peu plus sur la vie d’une petite commune de la Vienne au XIXème siècle dans un contexte particulier de grave crise sanitaire.
Le Rapport du Dr AUTELLET – Source : AD86 – Série 5 M 18
La sous-série 5 M des Archives départementales de la Vienne traitant Santé Publique et Hygiène nous plonge dans l’histoire des épidémies. Les comptes rendus souvent brefs, lacunaires, parfois nominatifs dépassent rarement quelques feuillets. Le document laissé à la postérité par le Dr AUTELLET est exceptionnel. Il raconte en 200 pages, la catastrophe sanitaire survenue en 1859 à Genouillé et alentour.
Description des cas cliniques
Après une brève introduction, un rapport détaillé et nominatif des 16 premiers patients atteints par la maladie nous apprend leur nom, leur âge, les circonstances de survenue de la maladie, les premiers signes de l’affection. Les éléments cliniques sont précis et détaillés ainsi que les traitements tentés et l’issue de l’affection.
L’énumération des cas cliniques est chronologique, permettant de désigner le premier patient à l’origine de l’épidémie et pour chaque cas ou presque, le contact contaminant, mais aussi le contexte familial et social. L’insalubrité des habitations, les mauvaises conditions de vie, l’absence d’hygiène qui règne dans la plupart des maisons modestes de la commune sont considérées comme autant d’éléments aggravant l’épidémie.
Les différentes formes cliniques sont mentionnées et détaillées ainsi que la durée et l’issue de l’évolution.
Malade après malade, jour après jour, hameau après hameau, nous suivons la progression terrifiante de la maladie, nous entrons dans les maisons, nous apprenons à comprendre la psychologie familiale, la peur du médecin et le poids des traditions qui trop souvent privilégient les remèdes des guérisseurs locaux et un fatalisme sidérant. Les hommes de science peinent à se faire accepter dans ce village accablé. Face à l’ampleur du drame, ils sont quatre à consulter : le Dr PORGET, le Dr COUSSOT, M. CHABRIER officier de santé, le Dr AUTELLET. Ainsi, la trachéotomie qui semble constituer un ultime espoir lors des phases asphyxiantes ne sera acceptée qu’une fois par les parents d’un petit malade, les autopsies seront systématiquement refusées.
Ces cas cliniques nous apprennent aussi du contexte. Ainsi la salle de classe est-elle jugée trop petite par notre épidémiologiste et surchauffée par le bois amené quotidiennement par les élèves. Dans cette atmosphère confinée, les enfants transpirent, mouillent leurs vêtements puis sortent jouer dans le froid de la cour de récréation sans aucun vêtement supplémentaire pour se couvrir. « C’est donc maintenant de l’école que va partir le fléau pour suivre une marche capricieuse, s’abattant sur un village pour y laisser des traces de larmes, reprendre son vol pour ravager un hameau où son passage sera marqué par un deuil général ». Aux éléments scientifiques s’ajoutent ces élans littéraires presque poétiques qui témoignent du bouleversement et de l’empathie de l’auteur.
Chez les petits écoliers du village, la marche de l’épidémie est rapide, les formes cliniques gravissimes et la plupart du temps fatales. Pour faire face à la situation, l’évacuation de l’école est proposée par les médecins et acceptée par le maire et le sous-préfet. Dans le même temps, curé, maire, notables encouragent les habitants à faire face en ayant recours dès les premiers signes annonciateurs à la venue du médecin et en appliquant rapidement quelques mesures simples d’hygiène. Toutes ces recommandations sont mal suivies, trop souvent le médecin est appelé avec retard ou ignoré comme en témoignent les décès de l’Etat civil qui échappent au recensement de l’épidémiologiste.
La triste litanie des cas cliniques se poursuit, certains seront plus brièvement décrits. A la commune de Genouillé s’ajoutent celles de Lizant, Saint-Gaudent et Civray, Savigné, Blanzay, Saint-Macoux, Voulême.
Réflexions autour de l’épidémie
Après 16 cas cliniques, le Dr AUTELLET mène ses premières réflexions et déductions. La certitude du caractère contagieux de l’affection est établie, les éléments de la progression ne font aucun doute et permettent d’affirmer que l’épidémie vient de Saint-Martin-l’Ars, commune atteinte de diphtérie à la fin de l’année 1858, où séjourna et se contamina la jeune Hortense CHOISY, première atteinte et décédée le 7 janvier 1859, quelques jours après son retour à Genouillé.
Les 17 premiers cas permettent d’établir un premier bilan de la progression. Dans un second paragraphe, l’accent est mis sur le bilan des familles touchées. La plupart du temps, lorsque la diphtérie arrive dans une maison, tous les enfants sont touchés, la mortalité est terrifiante, trois enfants sur cinq, deux sur trois. L’instituteur perd quatre enfants sur cinq… La contamination tient plus à l’état général des enfants qu’à leurs conditions de vie. AUTELLET présente son travail avec modestie et humilité, conscient des limites de son art, et ne manquant pas de faire référence dans ses réflexions à son vénéré maître BRETONNEAU.
La diphtérie est tonsillaire, pharyngée, laryngée ou générale. La forme laryngée atteint particulièrement les enfants de moins de 7 ans, pour lesquels la trachéotomie ne sera acceptée qu’une fois par les familles. Sans résultat. La description de cette intervention n’est pas retrouvée dans le document.
L’étiologie est recherchée. La première patiente est Hortense CHOISY. La progression se fait alors pas à pas, le patient contaminateur est toujours retrouvé et le Dr AUTELLET met un point d’honneur à pouvoir rendre compte. A ce facteur s’ajoutent les conditions de salubrité des maisons de Genouillé, souvent enterrées, ainsi que les conditions de vie des enfants, mal vêtus, la plupart marchent pieds nus et sont bien souvent livrés à eux-mêmes.
Les formes cliniques varient. Diphtérie laryngée : 79 enfants atteints, 66 décès, 11 pseudo-croup. Diphtérie pharyngée simple : 27 cas et 12 décès. Diphtérie toxique : 3 périodes, 91 cas et 67 décès
L’incubation apparaît variable et peut durer 20 jours.
La marche de l’affection est insidieuse, saccadée, irrégulière, capricieuse. La mort survient en moyenne en 9 jours, la guérison en 1 à 3 mois.
A des périodes de forte mortalité, durant lesquelles presque tous les patients décèdent se succèdent des périodes plus clémentes. À noter dans les villages de Gourgeaudin de Puisiot et des Mauvoisins, une épidémie de variole s’ajouta à la diphtérie et en diminua les effets.
Les traitements entrepris sont détaillés, les protocoles précisés, leur évaluation est tentée.
Cautérisations au nitrate d’argent, insufflation de poudre d’alun, cataplasmes émollients, synapismes pelviens et thoraciques, tartre stilbié, perchlorure de fer, huile de Croton Tiglium, cautérisations à l’acide chlorhydrique, chlorate de potasse, Calomel. Différents protocoles de traitement sont mis en place et évalués, le Calomel semble apporter le plus de bénéfice en entraînant une hypersalivation bénéfique.
Comme souvent au XIXème siècle, les médecins sont aussi sujets d’expérimentation. Le Dr AUTELLET, faisant référence aux expériences d’inoculation de TROUSSEAU et PETER, raconte qu’en cautérisant un malade il reçut un morceau de pseudo-membrane dans sa bouche entrouverte et ne put s’en débarrasser qu’au bout de quelques minutes. Il s’en suivit pour lui une irritation gingivale sans plus de conséquence. 15 jours plus tard, également lors d’un effort de toux au cours d’une cautérisation, une pseudo-membrane vint se loger sur son œil, qu’il lava à grande eau. Il n’eut à subir aucune conséquence et en conclut que la contamination de la diphtérie ne se fait pas par ces voies là…
Le Dr AUTELLET conclut en remerciant les hommes bienveillants qui œuvrèrent pendant l’épidémie : M. GRUGEON curé desservant depuis 29 ans, le Dr PORGET, le Dr COUSSOT, M. CHABRIER officier de santé à Availles-Limouzine.
Tableaux récapitulatifs et nominatifs
Les tableaux proposés récapitulent les éléments scientifiques apportés par cette étude.
Le tableau nominatif des patients répertoriés dans l’étude a été repris sur Excel afin de faciliter les recherches des généalogistes.
Lien à suivre : Epidémie de Genouillé, indexation du rapport du Dr Autellet par Gloria GODARD pour le CGP
Registres d’Etat-Civil de la commune de Genouillé – Source : AD86 – Archives en ligne
L’indexation des registres d’Etat Civil est le petit plus apporté par le Cercle Généalogique Poitevin, il nous permet de comparer et de compléter les données du document de la série 5 M18. Le bilan semble ainsi sous-évalué, on compte en effet 130 morts à l’Etat Civil.
Lien à suivre : Epidémie de Genouillé, indexation du registre d’état civil par Gloria GODARD pour le CGP
Délibérations de conseil municipal de la commune de Genouillé – Source : Archives municipales de Genouillé
(en cours d’exploration)
Le PLUS : L’intégralité du rapport du Docteur AUTELLET a été numérisé et peut être mis à disposition sur simple demande auprès de Gloria GODARD (la.godardiere@gmail.com) ou du CGP. |
Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
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