Nous sommes à Saint-Pierre-de-Maillé le premier jour de l’année 1903. Le premier acte inscrit au registre de l’état civil est celui de « la découverte du cadavre d’un inconnu ».
Ce 01 janvier 1903, Clément LANÇON, chiffonnier, et Philippe MONET, garde champêtre, sont venus déclarer le décès d’un individu visiblement noyé dans la Gartempe. Le maire de la commune va prendre la peine de décrire très précisément l’inconnu : il paraissait être « âgé d’environ soixante ans, de taille moyenne, ayant la barbe grise et longue d’environ dix centimètres, chauve, vêtu d’un pantalon d’étoffe brune, d’un gilet de même couleur recouvrant un gilet marin rayé de blanc et de bleu et chaussé de brodequins en bon état ».
Le 02 janvier 1903, le malheureux sera inhumé probablement dans la fosse commune du cimetière de la paroisse.
Qui est donc cet homme qui est venu s’échouer au bord de la Gartempe ? Est-ce un voyageur ou un mendiant ? S’est-il noyé accidentellement ? S’est-il suicidé ?
Les périodiques de l’époque nous en disent plus sur les circonstances de la découverte du corps. Ainsi, La Semaine du 11 janvier nous apprend que dans la matinée du 01 janvier Clément LANÇON naviguait sur la Gartempe et alors qu’il atteignait l’écluse près du vieux moulin des Cottets aux environs du lieu dit Jutreau, son regard se porta sur une forme qui était accrochée aux branches. En s’approchant, il découvrait le corps d’un individu qui semblait avoir séjourné depuis plusieurs jours dans l’eau. Ne pouvant déplacer le corps tout seul, le chiffonnier demanda l’aide du garde champêtre et de l’adjoint au maire. Ils déposèrent le corps sur la rive. Personne ne reconnut l’individu et apparemment il ne portait aucun document sur lui qui aurait pu l’identifier ou en tout cas donner une indication sur son lieu d’origine. D’après le Journal de la Vienne du 06 et 07 janvier, on ne trouvera « dans ses poches qu’une clef, deux mouchoirs et un porte-monnaie renfermant une somme de 12 fr. 80 ».
La Semaine du 11 janvier précise que le corps avait « été examiné par M. le docteur HAUPERT qui a constaté deux coupures à la tête, l’une au-dessus de l’oreille droite, l’autre au front, mais a déclaré qu’il y avait tout lieu de supposer que ces blessures avaient été faites par la traversées des écluses ».
Cette histoire aurait donc pu rester un simple fait divers avec quelques entre filets dans les journaux et nous n’aurions jamais connu l’identité du décédé.
Pourtant dès le 03 janvier 1903, quatre personnes se sont présentées pour une déclaration de reconnaissance que l’on peut également consulter sur les registres. Il y avait Pascal DEFORGES, Jean GUILLEMOT, Marie DEFORGES et Théodore GALLET qui disent avoir un lien de parenté avec l’inconnu et demandent l’exhumation du cadavre. Ils ont du être assez convaincants car le maire va ordonner l’exhumation accompagné par le garde champêtre et le maçon, Antoine MERIGARD. Après l’ouverture de la bière, ces quatre personnes reconnaissent officiellement Vincent DEFORGES qui avait disparu depuis la nuit du 26 au 27 novembre 1902 et qui n’était autre que leur frère et oncle.
Vincent DEFORGES était originaire de Montmorillon. Sa famille qui était venue le reconnaître arrivait de Jouhet et Haims. Ils ont tous fait un sacré bout de chemin pour arriver à Saint-Pierre-de-Maillé. On peut donc se demander comment la famille avait appris le tragique destin de Vincent DEFORGES ? Là encore la presse va nous donner quelques pistes puisque La Semaine du 11 janvier mentionne qu’une photographie avait été prise avant l’inhumation et qu’une enquêté avait été diligentée pour établir l’identité du noyé. On peut supposer que le maire avait communiqué le signalement à la gendarmerie qui avait peut être fait le lien avec une déclaration de disparition et cela permit à la famille de se présenter rapidement pour l’identification.
Le 18 janvier 1903, le décès de Vincent DEFORGES sera transcrit sur le registre de l’état civil de Montmorillon sur présentation d’un procès verbal du procureur de la République de Montmorillon.
Nous ne saurons rien sur les circonstances exactes du décès. Pour finir cette anecdote : heureusement que des personnes ont pu identifier notre inconnu, car dans la presse locale de l’époque il avait été nommé « Vincent TAUPIER »… sans doute un amalgame avec sa profession de ratier. Malgré cette approximation, la consultation de la presse ancienne en ligne aux Archives départementales de la Vienne, nous donne la possibilité de retracer le parcours de vie, si triste et si minime soit il.
Les protagonistes :
Vincent DEFORGES, le défunt, est né le 23 février 1845 à Journet et est le fils de Joseph et d’Anne PENOT. Il épousera Jeanne THOMAS le 14 juin 1869 à Sillars. Jeanne décédera le 14 septembre 1871 à Sillars. Elle avait donné naissance à leur fils unique Jean le 21 décembre 1870 qui disparaîtra à son tour le 28 avril 1887 à l’âge de 16 ans.
Marie DEFORGES, domiciliée à Jouhet, est née le 11 avril 1841 à Jouhet et est la sœur consanguine du défunt. Elle est issue du premier mariage de Joseph DEFORGES avec Marie TABUTEAU. Elle épousera Pierre GALLET le 15 avril 1872 à Saint-Léomer. Elle aura 4 enfants dont Théodore GALLET, présent à la reconnaissance du défunt, et est veuve depuis 1891.
Pascal DEFORGES, cultivateur domicilié au Bois Clairet à Journet, est né le 18 mai 1853 à Journet et est le frère germain du défunt. Il est le dernier des enfants de Joseph DEFORGES et Anne PENOT.
Jean GUILLEMOT, cantonnier à Haims, est né le 04 avril 1841 à Journet et est le frère utérin du défunt. Il est issu du premier mariage d’Anne PENOT avec Germain GUILLEMOT. Il épousera Marie Lucette PORCHERON le 13 juin 1871 à Journet avec laquelle il aura deux enfants.
Théodore GALLET, cordonnier à Jouhet, est né le 01 juillet 1877 à Saint-Léomer. Il est le neveu du défunt et fils de Pierre et Marie DEFORGES (citée précédemment).