Notre-Dame-d’Or, petite bourgade du Nord-Vienne, est connue pour sa statuette de la Vierge en Or, dont chaque habitant croit connaître l’endroit où elle est cachée. Le village est aussi renommé depuis le milieu du 19e siècle lorsqu’un agriculteur local y découvre un trésor aujourd’hui exposé au musée Ste-Croix à Poitiers. Les nombreux hectares de vigne, avant d’être ravagés par le phylloxéra au début du 20e siècle, participent aussi à la notoriété de la Commune à ce moment-là
Mais calée entre le Puy de Mouron et la Motte de Puitaillé, deux monticules que la légende attribue au décrottage des bottes de Gargantua, Notre-Dame-d’Or éveille aussi la curiosité par un fait divers survenu en mai 1891 et presque oublié de nos jours. Et aujourd’hui, alors que l’égoïsme laisse le monde indifférent, cette histoire mérite d’être rappelée, pour montrer que la valeur n’attend pas le nombre des années.
« Le 05 mai 1891, trois fillettes de Notre-Dame d’Or, Florentine GUILLOT, 9 ans, Aurélie MOREAU, 5 ans et Lucie MOINE, qui n’a pas encore 2 ans, s’amusent dans la cour de la maison d’habitation des parents GUILLOT (située route de Frontenay et aujourd’hui détruite). Tout à coup, la petite Lucie tombe dans une cuve pleine d’eau. Aux cris poussés par la petite, la jeune Florentine GUILLOT, qui s’est momentanément éloignée, accourt et est assez forte pour retirer hors de la cuve la petite Lucie, qui en a été quitte pour une grosse peur. »
Les journaux de l’époque ne relatent apparemment rien du tout. L’histoire aurait pu en rester là. Mais l’affaire remonte jusqu’à l’Académie qui inscrit sur un « Livre d’Honneur des actes de courage et dévouement » le nom de Florentine GUILLOT, accompagné d’un « Tableau d’Honneur » du même nom, affiché dans l’école du village. Pour compléter le tout, un diplôme et la médaille d’argent sont attribués à la jeune Florentine. C’est de ce « Livre d’Honneur » que nous vient le récit détaillé du sauvetage.
Mais d’où nous vient cette procédure?
Ces récompenses pour actes de courage et dévouement semblent tomber en désuétude à la fin du 19e siècle. La consultation des bulletins mensuels de l’Instruction Primaire de la Vienne de l’année 1891, conservés aux Archives Départementales de la Vienne, nous apportent quelques précisions. Ces actes de bravoures sont mentionnés régulièrement dans lesdits bulletins. Toutefois, dans celui numéroté 104 de mai-juin 1891, on y trouve une lettre de l’Inspecteur d’Académie écrite le 14 mai au Préfet de La Vienne pour les remettre au goût du jour. Déjà, dans un précédent rapport, le sujet avait été évoqué. Là, l’Inspecteur d’Académie passe carrément aux propositions en y ajoutant un caractère plus solennel.
Il semble évident pour le corps enseignant, consulté par ce dernier, que la meilleure façon d’enseigner la probité, la bravoure, l’abnégation, c’est d’honorer ceux qui ont montré l’exemple, et que l’école, pour ceux qui la fréquentent à ce moment-là, est le meilleur endroit pour le rappeler. Ne nous y trompons pas, l’objectif est aussi d’encourager les enfants à « faire preuve d’intrépidité, de sang-froid et de courage » tels que « la patrie pourrait en avoir besoin sur les champs de bataille. » Quand on connaît l’esprit de revanche envers l’Allemagne avec la perte de l’Alsace-Lorraine, outre le caractère solennel de l’acte, l’argument présenté par l’Inspecteur d’Académie est imparable. Ses propositions sont présentées pour application dans une circulaire par le Préfet de la Vienne dès le 25 mai 1891.
Ici, il faut laisser parler Vincent Olivier sur le site « Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest » dont voici un extrait :
« Le département de la Vienne est doté à partir des années 1890 d’une mesure tout à fait originale, dont l’équivalent ne semble pas exister dans les départements voisins. Le 25 mai 1891, le préfet de la Vienne institue le livre et le tableau d’honneur « destinés à conserver à l’école même le souvenir des belles actions accomplies par les enfants de nos écoles ». […] Ainsi, dès qu’un écolier se signale par son intrépidité et sa bravoure, outre qu’il reçoit la lettre de félicitations officielle coutumière, le récit de l’exploit est inscrit à jamais à la fois dans ce feuillet délivré gratuitement pour l’occasion au directeur de l’établissement et dans un numéro du Bulletin départemental de l’instruction primaire du département de la Vienne. […] Dans cette volonté « d’encourager chez les petits écoliers les sentiments d’honneur, de courage et de dévouement », comme le signale l’inspecteur d’académie de Poitiers, l’attribution des félicitations revêt généralement un caractère solennel et se déroule au sein même de l’établissement où l’enfant est scolarisé. »
Et on peut supposer que notre Lucie est une des premières bénéficiaires de ces mesures. Malheureusement, la preuve est impossible à apporter, car il manque, dans la compilation des bulletins de 1891, le numéro 107, qui est probablement celui où est rappelé son acte de bravoure. Les autres bulletins jusqu’en 1895 n’en parlent pas.
On ne sait pas si Lucie sera reconnaissante plus tard envers Florentine. Toutes les deux ont connu des fortunes diverses et la vie ne les a pas épargnées.
Que sont-elles devenues?
Florentine GUILLOT, née en 1882, se marie avec Onésime DEPOYS en octobre 1901 à Notre-Dame-d’Or et aura un seul enfant, André, né en 1902. Ce dernier se marie tardivement, en 1944, avec Cécile GUILLOT, veuve de guerre de Marcel THOMAS, tué aux combats de 1940. Florentine, en mal de descendance, considère alors le fils qu’a déjà Cécile, Hubert THOMAS, âgé de 14 ans, comme son propre petit-fils. Hubert devient à son tour père d’une fille en 1959 et Florentine l’accueillera ainsi comme « son » arrière-petite-fille. Mais la joie est de courte durée. Florentine s’éteint en 1962 à Notre-Dame-d’Or, à 80 ans.
Quant à Lucie MOINE, sauvée des eaux, elle est la seule fille de la famille au milieu de trois frères: Lucien, Maurice et Achille. La maison de ses parents existe toujours, au 4, route de Frontenay. Elle épouse Edmond PELET, menuisier de son état en avril 1907 à la Grimaudière où ils vont désormais habiter. Edmond, qui comme tout bon menuisier qui se respecte, « fait la sieste dans les cercueils qu’il fabrique, pour voir si on est bien dedans », me raconte son petit-fils en cette fin mai 2018 ! Edmond et Lucie auront deux enfants: Yvette future TERRIOT et Joseph. Malheureusement, la guerre 14/18 fauche les deux premiers frères de Lucie, Lucien et Maurice. Couturière déclarée, Lucie apprend le métier aux jeunes filles du village. Joseph, le fils, apprend le métier de menuisier, mais pour ne pas subir l’influence du père, finit par devenir gendarme.
Hélas, Lucie meurt le 09 août 1941 à La Grimaudière, à l’âge de 52 ans, suite à un AVC. Joseph, le fils gendarme qui est en poste à Modane (Savoie), apprend la nouvelle et rentre en train jusqu’à Poitiers puis en vélo jusqu’à La Grimaudière. On imagine le parcours en temps de guerre avec la ligne de démarcation à franchir et un trajet de 45 km en vélo en plein été…. A son décès, Lucie n’a pas sauvé de vie pour, si on peut dire, « rembourser » sa dette. La postérité va s’en charger.
Joseph est au service des autres et à la protection de chacun. Mieux encore, plus tard, les deux enfants de Joseph deviennent médecins. Ils vont protéger et sauver des vies jusqu’à leur retraite récente. Lucie, sauvée de la noyade, à travers sa descendance, peut être tranquille là-haut.
Florentine et Lucie sont nées dans deux maisons séparées de 10 mètres l’une de l’autre. Aujourd’hui, elles reposent toutes les deux dans le cimetière de Notre-Dame d’Or, à 10 mètres aussi l’une de l’autre, inséparables dans la vie, inséparables pour l’éternité.
Non sans une pointe d’humour, un des petit-fils, médecin local rencontré récemment, termine l’évocation d’une grand-mère qu’il n’a pas connue par: «C’est un problème que de tomber à l’eau dans notre famille. Je suis moi-même tombé dans un des bras de la Dive à La Grimaudière à l’âge de 3 ou 4 ans, vers 1955, sauvé en cela par un des ouvriers de la scierie toute proche. Par la suite, je suis même devenu son médecin !»
De nos jours, les règles de détails relatives à ces récompenses sont définies dans l’instruction n°3918 du 18 septembre 1956 et la circulaire du 14 avril 1970. Le critère à retenir pour l’octroi de la médaille pour actes de courage et de dévouement est la notion de risque certain encouru par le sauveteur à l’occasion d’un acte précis de courage et de dévouement. Il existe différentes récompenses graduées :
- Lettre de félicitations
- Mention honorable
- Médaille de Bronze
- Médaille d’Argent de 2ème classe: la médaille d’argent est décernée exclusivement aux titulaires de la médaille de bronze qui ont, à nouveau, fait preuve de courage et d’abnégation
- Médaille d’Argent de 1ère classe
- Médaille de Vermeil
- La Médaille d’Or n’est généralement accordée qu’à titre posthume.
Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
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