Mémoires d’une famille de tailleurs d’habits à Poitiers

Par Jean MOUSSU (adhérent CGP n° 1225)
Portrait de Paul WEIMANN, tailleur d'habits à Poitiers

Portrait de Paul WEIMANN vers 1880 – (collection privée J MOUSSU)

Paul WEIMANN et Jeanne ORRILLARD se sont mariés à Poitiers le 28 septembre 1874, le contrat de mariage ayant été passé le 25 septembre 1874 devant Maître LANGEVIN notaire à Poitiers. L’époux était âgé de 21 ans et l’épouse âgée de 22 ans. En l’espace de 9 ans, le couple a eu six enfants, dont l’un est mort en bas âge. Sont restés un garçon et quatre filles qui se sont tous mariés à Poitiers.

photo de rassemblement des écoliers de l'école Saint Stanislas à Poitiers vers 1908

Ecole Saint Stanislas vers 1908 – (Fonds Gérard SIMMAT)

Paul WEIMANN était né le 15 octobre 1852 à Poitiers. Tailleur d’habit, il avait un magasin vers le palais de justice, et employait une dizaine de personnes. Il faisait tous les uniformes pour le collège Stanislas. Son domicile se situait au n° 6 rue Saint Didier. Cette rue s’appelle maintenant rue du Palais de justice, le changement de dénomination de la rue ayant eu lieu en 1895.

La nourrice des enfants WEIMANN habitait Chasseneuil, ce qui explique pourquoi Paul aimait y aller à la pêche. Malheureusement, il est tombé dans le Clain et il en est mort à la suite d’une congestion (ou pneumonie), étant resté toute la journée mouillé. C’était le 29 août 1885  et il était âgé seulement de 33 ans.

Portrait de Jeanne Delphine ORRILLARD, veuve WEIMANN, vers 1900, mercière à Poitiers

Portrait de Jeanne Delphine ORRILLARD vers 1900 – (collection privée J MOUSSU)

Son épouse Jeanne Delphine ORRILLARD, née le 26 octobre 1851 à Poitiers, s’est donc retrouvée veuve à 34 ans avec six enfants âgés de 11 mois ½ à 10 ans. Son deuxième fils est mort la même année d’une méningite, le 21 octobre 1885 soit deux mois après son père. Il était âgé de 5 ans ½.

Après la mort de son mari Jeanne Delphine ORRILLARD a tenu une boutique de broderie mercerie qui se trouvait à coté de chez Funk chocolatier dans la rue Gambetta (mais elle n’y habitait pas).

Gérard SIMMAT évoque ce magasin dans son ouvrage page 71 « Poitiers flâneries » (Editions du Pont Neuf 1995) lequel est une description des commerces que pouvait rencontrer un visiteur de Poitiers au début du XXe siècle : « au n° 44 mercerie bonneterie, lingerie, corsets et ganterie de la veuve Weimann à laquelle succéderont les demoiselles Charpentier. Au n° 42 la pâtisserie E Fink ».

Publicité pour l'ancienne maison Weimann, tailleur d'habits à Poitiers

Publicité ancienne maison Weimann

Il est aussi évoqué dans ce même ouvrage, page 61, l’existence au n° 11 de la rue Gambetta de l’« ancienne maison Weimann » tenue par « M Maillet gendre et successeur de J Escouet tailleur civil et militaire ». « La rue Gambetta est issue par arrêté municipal du 7 octobre 1895 de la rue St François, rue de la maire et de la rue St Porchaire » (illustration page 128).

Jeanne Delphine ORRILLARD était âgée de 69 ans lors de son décès. Lors de sa sépulture, la famille a suivi le corbillard à pied de son domicile Grand rue jusqu’au cimetière de l’hôpital des champs.

photos privées des enfants du couple WEIMANN - ORRILLARD, tailleur d'habits à Poitiers

arbre de parente et photos des enfants WEIMANN – (collection privée J MOUSSU)

Herage 140

Herage 140

Le premier numéro de l’année 2018 est bouclé ! Vous êtes abonnés ? Vous devriez le voir arriver dans vos boîtes aux lettres début mars. Vous pouvez d’ores et déjà le consulter en version numérique (sur le site herage.org, rubrique « Adhérents », puis « Compte », puis « consultation du dernier Herage »).

Au sommaire :

  • Sauvegarde du patrimoine ou comment cinq membres du CGP ont procédé à une opération de restauration d’un cimetière protestant à Rouillé.
  • Gilbert LANDRY, le premier aviateur de la Vienne.
  • Du champ d’honneur…au champ de « patates » : si vous voulez savoir ce qu’a pu devenir votre ancêtre au cours d’une bataille napoléonienne.
  • Un bien curieux bouton ou comment un simple bouton devient le prétexte à une enquête qui vous mènera jusqu’au château de Touffou à Bonnes.
  • Jazeneuil, d’un mariage à un procès : une autre enquête à travers les actes notariés.
  • Les poitevins guinchent au bord de l’eau avec l’évocation des anciennes guinguettes de Poitiers.
  • Et toujours des quartiers d’adhérents et des cousinages entre adhérents ou avec des célébrités…

Pour s’abonner, voir sur le site herage.org, rubrique « Accueil », puis « L’adhésion au cercle » ou contact cgp@herage.org

Enfants trouvés à Poitiers

Dans la revue Herage n° 17 page 19, Simone DUPRÉ évoque ses recherches sur les enfants trouvés dans la Vienne.

C’est lors de recherches généalogiques à Persac que fut découvert dans un registre d’état-civil un dossier d’enfant « trouvé dans un panier » en 1811. On lui donne le nom de Julie Elisabeth DUPAGNIER. La lecture des registres matricules des enfants trouvés n’a pas permis de connaître son destin, mais en feuilletant ces registres on ne peut qu’être ému par le nombre de décès de ces pauvres enfants dans les premiers jours de leur vie. Un tragique bilan qui motive les recherches qui vont suivre.

Dans les registres matricules on peut se documenter sur le nombre de naissances et décès, des « remis aux parents », des rares adoptions, sur les lieux d’abandon, les prénoms et surnoms et leurs vêtements lors de cet abandon.

Dans le dictionnaire, depuis 1694 jusqu’aux plus récents, la définition ne varie guère :
1694 dictionnaire Furetière : « enfants trouvez sont des enfants exposés dont les père et mère sont inconnus« . (lien vers Gallica)
1975 dictionnaire Quillet : « enfant trouvé : enfant abandonné par ses parents et recueilli par d’autres ou par l’assistance publique« .

Dans une étude historique les concernant (liasse J.11 71 AD86), on s’aperçoit qu’au fil des siècles les abandons furent très nombreux. On a toujours cherché à améliorer leur sort, en vain d’ailleurs par manque de ressources.

Dans un livret remis aux malades à leur entrée à l’Hôtel-Dieu, il y a quelques années, l’historique des hôpitaux de Poitiers y figurait. Ces hôpitaux furent nombreux au moyen-âge mais disparurent peu à peu. Cependant l’un d’entre eux est à l’origine de l’Hôtel-Dieu actuel (ex. Grand Séminaire). C’était l’aumônerie Notre-Dame ou Hôtel-Dieu, située face à la collégiale Notre-Dame-La-Grande qui recevait malades et enfants trouvés. Il faudra attendre 1793 et la vente des biens nationaux pour voir le transfert de l’Hôtel-Dieu au Grand Séminaire. Le deuxième établissement à recevoir ces enfants était l’Hôpital Général (Jean-Macé) où les enfants travaillaient dans les ateliers dés 7 ans.

Les lieux d’abandon

On les lève près des boutiques dans les rues commerçantes du centre ville, près des églises, beaucoup rue de Cordeliers. Ces enfants sont exposés à « mille accidents » au moment des abandons. Les autorités s’en préoccupent et on parle dés le XVIIIe siècle de l’ouverture d’un tour. Celui-ci fonctionnera de 1792 à 1796 puis de 1811 à 1860 à l’Hôtel-Dieu. « On ferait mettre un berceau tournant dans le mur de clôture de la cour de l’hôpital qui communiquerait au dehors où chacun pourrait y apporter les enfants nuitamment qu’on lèverait dés l’instant en avertissant par une sonnette qui serait posée à cette fin. » (AD86 H Dépôt 115 Hôtel-Dieu, liasse 3 E 6)

Un enfant est trouvé ou « levé », que devient-il ?

Les autorités requièrent le lieutenant de police, un greffier, une « servante » de l’Hôtel-Dieu. Un procès verbal de levée est fait. Puis l’enfant est mené à l’église où on le baptise. Puis il est admis à l’Hôtel-Dieu. Il y restera un jour ou plus, selon son état de santé, puis partira chez une nourrice.

Les causes principales de ces abandons sont la misère, la honte, les guerres, la débauche. Il y a une mortalité constante chez ces nourrissons. Le pourcentage des décès de moins de 2 ans est effrayant. On meurt en nourrice ou à l’hôpital mais les décès en nourrice sont très nombreux. Celles-ci sont de pauvres femmes des petits villages autour de Poitiers, d’une « extrême indigence », incompétentes, vivant dans des maisons sans hygiène. Elles ne sont pas contrôlées. Elles ne le seront qu’en 1856.

Quelques enfants seront adoptés par les nourrices, ce sera une « main-d’œuvre facile ». D’autres seront remis à leurs parents, leur mère le plus souvent (10%). Les professions des mères étaient celles de domestiques, servantes, couturières, lingères.

Certaines mères pensaient reprendre leur enfant lorsque leur situation se serait améliorée d’où des petits objets attachés à leurs vêtements afin de les reconnaître. Ces vêtements étaient modestes. Mais on accumule les vêtements en mauvais état le plus souvent. On a peur du froid, on fait tout ce qui est possible avec de modestes moyens. Sur les vêtements (dont la description est minutieuse sur les registres), souvent un billet porte leur prénom. On y ajoutera un surnom rappelant le lieu de l’abandon ou des particularités variées : La Fleur, L’Eveillé, Pelage, Boulanger, Acadie. Au XIXe siècle afin que les mères ne puisent reprendre leurs enfants en tant que nourrices payées, l’administration donne un nom et un prénom sans tenir compte des prénoms donnés par la mère.

Au fil des siècles, nombreuses furent les tentatives pour diminuer les abandons et améliorer le triste sort de ces enfants. Mais c’est seulement à partir de 1806 puis 1811 et 1856 que des lois en leur faveur commencèrent à améliorer leur sort et celui des mères. Mais il faudra attendre le XXe siècle pour voir apparaître un changement de mentalité qui ne les rejette plus mais les difficultés subsistent encore.


Sources : AD86 Registres matricules des enfants trouvés et abandonnés 3 X 101 à 109, mémoire de maîtrise n°73 de Christian PINET, mémoire de maîtrise n° 82 de Monique ROBIN, bulletin des antiquaires de l’ouest 1913 « assistance publique à Poitiers » par A. RAMBAUD.

Pour en savoir plus :
Regards sur l’enfance : les enfants abandonnés et exposés à Poitiers au XVIIIe siècle (université de Poitiers)
La vêture des enfants trouvés

Une centenaire originaire d’Iteuil

Par Jean MOUSSU (adhérent CGP n° 1225)

On relève sur le registre de la paroisse de Sainte Triaise à Poitiers, à la date du 14 février 1746, la sépulture de Jeanne JORIGNY fille âgée de 103 ans « demeurant depuis trois ans chez André JORIGNY petit marchand. Son grand âge l’avait mis hors d’état de recevoir l’Eucharistie, mais elle a reçu les autres sacrements. Originaire d’Iteuil, elle est la fille de Sébastien JORIGNY et de Antoinette AUGRON ».

acte de décès Jeanne JORIGNY

Acte de décès de Jeanne JORIGNY – AD86 BMS 1746-1757 vue 2

Compte tenu d’une date de naissance remontant à 1643, il est illusoire de retrouver l’acte correspondant pour vérifier avec certitude ce « record », faute de registres paroissiaux.

Au demeurant, on peut pister sa trace. À ce titre, il existe un André JORIGNÉ veuf de Louyse LACOUTURE, et fils de feu Sébastien JORIGNY et de Florence MORILLON, remarié le 29 août 1729 paroisse de Ste Triaise, avec Marye PETIT veuve de Jean FERNET journalier.

S’agit-il de celui qui hébergeait la centenaire ?

C’est assez vraisemblable car on trouve le couple « Sébastien JARNIER – Fleurance MORILLON » d’une orthographe différente mais phonétiquement proche de la source précitée, sachant qu’assez curieusement JORIGNY ou GERNIER sont utilisés dans cette famille. Ces derniers se sont mariés à Béruges le 3 juin 1692. L’époux est le fils de Sébastien JARNIER et d’Antoinette OGROUX, et l’épouse est la fille de Pierre MORILLON et de Jeanne RINOUX. Autrement dit, il y a un lien de parenté entre la centenaire et cet André JORIGNÉ qui serait donc le neveu de Jeanne JORIGNY.

Les recherches sur la naissance pourraient donc être aussi menées sur la paroisse de Béruges, mais là encore lacune des registres.

Arbre de parenté de Jeanne JORIGNY

Arbre de parenté de Jeanne JORIGNY

 

De Liège à la paroisse de St-Saturnin de Poitiers

Par Thierry PÉRONNET (adhérent CGP n° 154)

Vers 1685 trois frères Jean, Englebert et Geoffroy DEMARNEF partent de Liège pour chercher fortune comme libraires et imprimeurs en France. Englebert et Geoffroy s’installent à Paris rue St-Jacques au Pélican, Jean de son côté choisit Poitiers la rue du marché en face de la tour Maubergeon à deux pas de l’église Notre-Dame-la-Petite où se trouve sa boutique de libraire-imprimeur au nom du Pélican.

le Pélican

COTEREAU (Claude). Du devoir d’un capitaine et chef de guerre. Aussi du combat en camp cloz, ou duel. Poitiers, à l’enseigne du Pélican [Jean et Enguilbert de MARNEF], 1549. In-4, couverture de vélin de réemploi (Reliure de l’époque)

Cette famille laissera une petite réputation dans le microcosme de la bibliophilie actuelle. Jean aura une descendance et donnera en héritage le prénom rare Englebert qui se retrouve sous la forme Enguibert-Anguibert et qui se transmettra sur plusieurs générations, sur plus de 150 ans, par la magie de la tradition familiale.

Cela commence par un fils de Jean, ensuite une petite fille Radegonde, nièce de ce premier Anguibert DEMARNEF poitevin (° vers 1500 + 1568), mariée en 1570 avec Thomas GARNIER le fils d’un apothicaire dont la boutique était dans l’actuel square Jeanne d’Arc à la tour Maubergeon. Elle prénomme un de ses enfants Anguibert (° 1587 St-Didier + 1650 St-Jean-Baptiste). Le dernier porteur connu sera un petit fils du précédant un certain Anguibert LADMIRAULT (° 1638 St-Hilaire-le-Grand + 1663).

La porte du pont Joubert à Poitiers gravure d'après un dessin de Charles Rauch (1791-1857), extrait de Guide Pittoresque du Voyageur en France, 1834

La porte du pont Joubert à Poitiers
gravure d’après un dessin de Charles Rauch (1791-1857), extrait de Guide Pittoresque du Voyageur en France, 1834 (voir Gallica)

Mais cette famille ne fut pas la première à introduire ce prénom en Poitou, on le retrouve caché dans la toponymie de la cité Pictave. Dans le livre issu d’un travail collectif « Du faubourg St-Saturnin au faubourg du Pont-Neuf : 3000 ans d’histoire »l’un des auteurs, Isabelle SOULARD, écrit que Ingelbert, prévôt du comte-duc Guy-Geoffroy-Guillaume fils de Guillaume V le Grand et d’Agnès de Bourgogne, a donné son nom au « Pontem Engelberti » cité en 1086 dans une charte. Ce Pontem Engelberti, c’est le pont Joubert qui relie la ville de Poitiers proprement dite au faubourg St-Saturnin, c’est l’un des plus vieux ponts de Poitiers qui était fortifié comme on peut le voir sur certaines gravures et peintures montrant le Poitiers de l’ancien régime.

La paroisse de St-Saturnin était essentiellement rurale, peuplée de fermiers, de métayers et de vignerons avec un bourg autour de l’église et le long du Clain où demeurent des artisans. On y retrouve la structure sociologique de toute bonne paroisse rurale du Poitou. Les bords de la rivière concentrent les métiers liés à l’eau : les meuniers, les tanneurs entre autres. Cette paroisse fait le lien entre la campagne à l’est de Poitiers et la ville proprement dite, la jonction se faisant par le pont Joubert porte d’entrée orientale de la cité Pictave qui se prolonge par la Grand-Rue, le decumanus de la ville romaine (le decumanus étant l’axe principal est-ouest, le cardo lui étant l’axe nord-sud).

La grande route de Poitiers à Bourges passe par St-Saturnin. Le plus vieux monument de Poitiers qui se trouve dans cette paroisse, c’est la Pierre Levée, un dolmen, qui fut érigé selon Rabelais par Pantagruel. Les deux frères Enguibert et Jean DEMARNEF de la seconde génération poitevine d’imprimeurs-libraires ont édité en 1533 le « Pantagruel » de Rabelais.

St-Engelbert St-Engelbert archevêque de Cologne (° 1185 au Schloss Burg + 1225 à Gevelsberg) était très connu et apprécié sous l’ancien régime dans la région de Liège où de nombreuses personnes portèrent son patronyme.

Pour en savoir + (par Maria FAUGERE CGP n° 2866)

« L’imprimerie & la librairie à Poitiers pendant le XVIe siècle »
par M. A. de la BOURALIERE, Mémoire de la Société des Antiquaires de l’Ouest,
tome XXIII, anée 1899, à télécharger ici.
(voir à partir de la page 72 le chapitre relatif à Jean II et Enguilbert II de MARNEF)

« Du faubourg St-Saturnin au faubourg du Pont-Neuf : 3000 ans d’histoire »
240 pages illustrées et agrémenté de 150 photos et illustrations proposées par des particuliers et dénichées chez des collectionneurs. Edité par le Comité du quartier Autour du Pont-Neuf. Vendu au prix de 17 €.
Contact et information pour acquérir le livre. Comité de quartier autour du Pont-Neuf, tél. 06.72.48.78.71.