#ChallengeAZ │ J… La Jusie, une famille de noiseux « les BOURREAU »

La Jusie, Latillé, Vienne 86, cadastre napoléonien

Localisation de La Jusie, lieu-dit de Latillé, cadastre Napoléon © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Les BOURREAU de la Jusie bastonnent à la Saint-Philibert

Le 05 août 1726 une information est ouverte contre BERTINEAU, BRIN, Louis, Pierre et Jean BOURREAU et leur sœur, AUBOURG femme BOURREAU, HERBOIREAU, accusés d’avoir maltraité la veille Mathurin fils de Jacques AUBIN aubergiste de Latillé.

Ledit Mathurin AUBIN malade git au lit et ne peut plus vaquer à ses affaires. Il se retrouve avec des chevaux sur les bras qu’il avait ramenés de la foire de Fontenay-le-Comte pour les revendre dans l’année. Pour cela et pour payer Bonaventure RENAULT le chirurgien qui l’a examiné, il demande réparation.

Ce dernier l’a trouvé fiévreux, une plaie sur le front de la largeur et de la profondeur de la moitié d’un pouce, une autre sur le haut de la tempe large et profonde d’un demi-doigt, une autre sur le coronal supérieur de la largeur d’une grosse fève, de nombreuses contusions sur tout le corps, du côté droit, du côté gauche, sur les vraies et fausses côtes, faites par des coups de pied et de bâton. Pour le chirurgien la guérison demandera plus d’un mois.

Joseph JARDEL, sénéchal de la châtellenie de Montreuil-Bonnin et Latillé, et François RANGER, son greffier, procèdent aux auditions :

  • Pierre LAVAULT de Latillé, 18 ans, rapporte que la veille jour de l’assemblée de la St-Philibert à Latillé, vers les 4-5 heures du soir, il jouait aux boules(1) avec Mathurin et Jean AUBIN frères, que les nommés HERBOIREAU et CHAUVEAU se battaient et que Pierre BOURREAU a voulu secourir HERBOIREAU. Mathurin AUBIN s’est alors interposé pour les faire cesser, quand les deux autres frères BOURREAU et leur sœur vinrent par derrière et le frappèrent de coups de bâton sur la tête et le corps.
  • Jean MARTINEAU (15 ans, fils du boulanger de Latillé) autre témoin assigné dit que HERBOIREAU et BRIN se jetèrent sur Mathurin AUBIN, lui donnant des coups de bâton, le faisant tomber à terre, que ledit BRIN lui asséna des coups d’une grosse trique par derrière.
  • François CHAILLOT (42 ans tisserand de Benassay), précise que Pierre BOURREAU de la Juzie, BERTINEAU (valet de DINET de la Bourdillière) et HERBOIREAU (fils du meunier de la Loge) étaient tous sur ledit AUBIN près du lieu où la MARTINELLE avait mis ses bouteilles et qu’ils lui donnaient des coups sur la tête.
  • Jacques (13 ans fils de Charles FOURE laboureur) de la Rouaudière de Latillé, témoigne aussi.
  • Estienne SOROIS (25 ans, laboureur de la Follye Marot de Latillé) précise que Mathurin AUBIN s’est retrouvé dans un fossé où il reçut les coups.
  • Jacquette PENIGAULT (45 ans, femme de MARTINEAU le boulanger qui vendait du pain au moment des faits), Marie (18 ans fille de Charles LUSSAULT servante du sieur LACHAPELLE), Jacques (13 ans fils de Louis TERRASSON tailleur d’habit), André GARNIER (45 ans marchand), ses enfants Marie (12 ans) et René (13 ans) et Marie LEVESQUE (38 ans femme de Pierre BRAULT marchand de la Croix Carrée), tous de Latillé, font des déclarations similaires.

Le grand nombre des assaillants et celui des témoins permet de penser que cette altercation a suscité un grand émoi dans la populace, que l’effervescence était grande dans la paroisse et alentours. Accessoirement on peut se demander si les bouteilles et le vin de la MARTINELLE ont joué un rôle essentiel dans l’affaire.

Identification des protagonistes

AUBOURG épouse BOUREAU l’une des vindicatives animatrices de ce fait divers permet d’identifier avec certitude la fratrie des BOURREAU dont ledit Pierre de la Juzye (Jusie) de Latillé : il s’agit de Renée AUBOURG épouse de Jean BOURREAU.

Louis et Pierre BOURREAU nés en 1704 et 1711 se marieront avec Françoise PINAUD et Jeanne GIRAULT en 1740 et 1735. Ils sont enfants du couple Louis BOUREAU et Marie BASTYE qui se sont mariés en 1694 à Cramard, un mariage quadruple, le même jour que deux frères et une sœur dudit Louis BOUREAU avec deux sœurs et un frère de ladite Marie BASTY.

Le couple Louis BOUREAU x Marie BASTYE a eu 4 autres enfants :

  • Marie (x Louis CHAILLOT),
  • Jeanne (x Mathurin DINET),
  • Pierre sans postérité,
  • et Renée (x André TAUPIN).

Louis BOURREAU veuf en 1705 s’est remarié deux fois :

  • avec Louise DEMON d’où un enfant René,
  • puis avec Marie-Anne PELAUD.
Famille Boureau, La Jusie, Latillé, généalogie

Arbre généalogique des BOUREAU de cette histoire ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Les quatre couples BOURREAU x BASTYE ont eu une nombreuse descendance, dont de nombreuses personnalités éminentes sont issues, entre autres Thierry PÉRONNET très humble vermisseau du Poitou et Jean-Marie PIGNON époux de l’excellente auteure polémiste des Deux-Sèvres Maud PIGNON.

Les « Jusie » de la Vienne

Le hameau de la Jusie est un écart de Latillé non loin de l’Auxance à côté du moulin du Pont-Aubert. Au début du 19ème siècle sur le plan du cadastre Napoléon on distingue 4 ou 5 bâtiments. La Jusie était sous l’ancien régime ce que l’on nomme une « métairie et maison noble », sous la mouvance de l’abbaye de Ste-Croix de Poitiers, constituée d’un ensemble de 3 à 4 maisons avec leurs dépendances. Son nom apparaît dans les actes dès le 14ème siècle et même avant.

On trouve aussi la Petite Jusie à Lavausseau et la Grande Jusie à Benassay dépendantes du chapitre de St-Hilaire-le-Grand de Poitiers. Leurs noms s’écrit avec la graphie Giusie sur le plan du cadastre Napoléon en 1830. Ces deux hameaux sont cités à partir de 1476 dans les actes.

Grande Jusie, Petite Jusie, Lavausseau, AD86

La Grande et la Petite Giusie (Lavausseau), cadastre Napoléon © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

(1) Les jeux de boules étaient très populaires sous l’ancien régime, avec de nombreuses variantes locales, les boules étaient en bois et plus grosses que les boules de pétanque actuelles.

Sources :  Archives départementales de la Vienne série 8-B-169 justice seigneuriale de Montreuil-Bonnin et Latillé

Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
Cliquez sur les épingles pour accéder aux articles déjà publiés.

Voir en plein écran

#ChallengeAZ │ I… Je me souviens de la Belle Indienne

C’est un hameau de la commune de Sérigny situé à 5 km du bourg sur la D757 entre Orches et Richelieu : La Belle-Indienne. 

Ce lieu est la source de souvenirs familiaux et je me suis toujours demandée qu’elle était l’origine de ce nom atypique. Je ne pense pas que les indiens soient venus dans notre Poitou ! D’après la mémoire locale, l’origine de ce nom peu banal pour notre région viendrait d’une petite épicerie possédant un rayon mercerie, avec des cotonnades à fond sombre appelées « Belle-Indienne ». C’est en l’honneur de ces étoffes que l’épicerie aurait porté comme enseigne : « A LA BELLE-INDIENNE ». Et tout naturellement le hameau qui s’est formé autour aurait pris son nom !

Cette rumeur pourrait être confirmée par les recensements. Il semble en effet que l’épicerie apparaisse dans le hameau entre 1891 et 1896. En effet, on ne trouve aucune trace de l’épicerie en 1891. En revanche, en 1896, on recense 10 foyers dont :

  • un boucher : Grégoire CHEDEVERGNE et son épouse,
  • un instituteur : Charles GUITON avec son épouse et son fils,
  • une institutrice : Marguerite BOUTIN avec son époux, sa fille et un domestique,
  • un cordonnier : Octave DELAGARDE avec son épouse Marie LAURIN aubergiste,
  • un cantonnier : Louis GARNIER avec son épouse et ses enfants,
  • un sabotier : Vincent BEAUVILLAIN,
  • et une épicière : Zoé BERTIER. 

En 1901 on trouve beaucoup de métiers au bourg, mais, à La Belle Indienne, il n’y a plus qu’un couple d’instituteurs (Charles GUITON et sa femme) et le cantonnier. On retrouve l’épicière à Gençay, un hameau tout proche. Il s’agit certainement d’une erreur de recensement car en 1906 et en 1911 notre Zoé est toujours à La Belle Indienne. En 1911 elle a 76 ans et on la dit rentière. Combien de temps a-t-elle tenu son épicerie, mystère ? On sait, d’après le BODACC (Bulletin officiel des annonce civiles et commerciales), que l’épicerie a porté le nom de « LA BELLE INDIENNE » jusqu’à sa cessation d’activité en 1970.

En reprenant les recensements antérieurs, on s’aperçoit que ce hameau apparaît de façon épisodique. Ainsi en 1851, on recense un foyer dans ce hameau et par la suite il n’est plus cité. Cette recherche met donc à mal la croyance locale telle qu’elle m’a été racontée. 

Le mystère s’épaissit quand, au cours de recherches, on apprend que « La Belle Indienne » était le surnom donné à la veuve SCARRON avant qu’elle devienne la Marquise de MAINTENON. Ce surnom faisait référence à son enfance qu’elle avait passée en Martinique. 

Alors, qui de l’épicerie ou du lieu a donné le nom à l’autre ? Le lieu est-il un hommage à la Marquise ? Cela reste un mystère.

L’évocation de cette épicerie est liée à ma grand-mère paternelle, Joséphine LEBLANC  qui l’a probablement fréquenté et certainement assisté à sa création.

C’est au lieu-dit La Croix, à 1 km de La Belle Indienne, que ma grand-mère voit le jour l’été 1864, quatrième enfant d’une fratrie de six (2 filles et 4 garçons). 

Quatre enfants sont nés à la Croix, Flavie et Camille à la Ménonière, mais Flavie décède à 1 mois. Le père décède à 43 ans à Fourneuf  laissant 5 enfants mineurs (âgés de 12, 11, 8, 6 et 2 ans). La mère décède à 56 ans à la Galiserie. Elle ne s’était pas remariée : exceptionnel, pour une veuve avec de jeunes enfants. Au décès du père, la famille habite Fourneuf avec un domestique et une servante. Mais en 1876 il n’y a plus qu’une servante, les enfants ayants grandis. En 1881 la famille habite Gençay sauf Joseph qui est parti pour le 32ème régiment d’infanterie.

Mes grands-parents : Vincent Marcellin POISSON et Joséphine LEBLANC © photo collection privée

Ma grand-mère Joséphine se marie en 1885 avec Vincent Marcellin POISSON. Ils auront 14 enfants :

  • Joséphine (° 1885 à Fourneuf   † à 10 jours),
  • Marcellin (° 1886 à Gençay  † en 1914 en Moselle),
  • Camille (° 1888 à Saint-Bonnet   † en 1918 dans l’Aisne),
  • Aristide (°1891 à Gençay),
  • Emile (° 1892 à Bellebâte  † en 1893 à 3 mois ½),
  • Marie-Baptistine (° 1893 à Bellebâte),
  • Alida (° 1895 à Bellebâte),
  • Emilia (° 1896 à Bellebâte),
  • Maximin (° 1898 à Bellebâte),
  • Octave (° 1900 à Bellebâte),
  • Isabelle (°1901 à Bellebâte),
  • Lucienne (°1904 à Bellebâte),
  • Félicien (° 1907 à Bellebâte),
  • Renée (° 1910 à Berthegon).

© Mémoire des Hommes ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

© Mémoire des Hommes ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Situation géographique des hameaux de Sérigny cités dans l’article

Pendant 18 ans ils ont habité Bellebâte une ferme du XVème siècle, située au milieu des champs, en haut d’un coteau, la ferme à cour carrée fermée, typique de la région, domine le paysage environnant. L’accès se fait par une une large porte cochère, flanquée d’une autre piétonnière  également en plein cintre. Selon les dires locaux, il subsisterait des traces d’une chapelle, d’où partaient des couloirs souterrains en direction de la tour Legat et de la tour Gonzay, ces deux forteresses ayant été construites au XVème siècle pour protéger Châtellerault. Plusieurs cercueils de pierre ont été mis au jour à quelques dizaines de mètres du logis, qui abrite une exploitation agricole.

Ferme de Bellebâte (Sérigny)

 

Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
Cliquez sur les épingles pour accéder aux articles déjà publiés.

Voir en plein écran

#ChallengeAZ │ H… Haut Messemé : Messemé 1906, un village loudunais se révolte !

Messemé, Vienne 86

Eglise Saint-Césaire de Messémé, théâtre de cette histoire

Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir la mention de notre arrière-arrière-grand-père Alexandre MAINAGE, vivant au HAUT-MESSEMÉ, et de sa participation à cet événement historique qu’est la Querelle des inventaires à la fin du registre paroissial de la paroisse Saint-Césaire Messemé de l’an 1906 dont nous vous avons retranscrit ici l’extrait et développé l’histoire.

Avant tout propos il est bon de rappeler l’origine du nom Messemé. Messemé constitue l’héritière de l’ancienne Maximiacum ou Villa Maximii. Le village s’est donc développé à partir du domaine de Maximius, un riche propriétaire terrien de l’époque gallo-romaine. Le village apparaît sous l’appellation Maximiaco dans un écrit du IXe siècle. Il deviendra Mayxime au XIIe siècle (Source : CASSAGNE Jean-Marie, KORSAK Mariola. Origine des noms de villes et villages de la Vienne. Édition Jean-Michel Bordessoules).

Dans la Gazette du Loudunais de juin 1970 (n°56) il est précisé que les moines de Saint-Philibert possédaient Messemé, que Charles le Chauve leur avait donné, et qui d’ailleurs tomba aux mains des Normands. 

L’église romane fut victime de la campagne de reconstruction qui a marqué la fin du XIXe siècle, elle fut complètement rasée ; la nouvelle église fut bénie le 2e dimanche de l’Avent, 13 décembre 1903. Elle fut consacrée avec son autel principal par Mgr Henri PELGÉ, évêque de Poitiers, avec séparation des reliques de saint Jucandin et de sainte Honorée le 7 avril 1904.

Deux ans après la consécration de l’église paroissiale de Messemé, ses paroissiens se révoltent contre le gouvernement de la République pour protéger l’édifice.

Transcription du texte présent aux Archives de Catholicité de l’Archidiocèse de Poitiers, et non l’exemplaire du registre paroissial de Messemé, conservé à Ceaux-en-Loudun, dont la rédaction du texte diffère très légèrement ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Le receveur de l’enregistrement, Monsieur FAULCON, a annexé à la minute de l’inventaire le contenu de la protestation du curé de Messemé. On peut retrouver ce document dans les archives paroissiales de Messemé, conservées à Ceaux-en-Loudun.

D’après Les Inventaires de 1906 dans le diocèse de Poitiers de Jérôme GRÉVY, publié en 2006 au Tome V de la Revue Historique du Centre-Ouest, nous savons que l’évêque de Poitiers reçut une lettre du curé de Messemé datée du 27 février 1906 dans lequel celui-ci précise que l’initiative de fermer les portes de l’église venait des paroissiens et qu’il les avait laissé agir : « Je pense, Monseigneur, que vous ne m’en voudrez pas d’avoir laissé faire les catholiques de Messemé qui voulaient résister ». Dans cette même lettre, on constate que le curé de Messemé subit l’inventaire comme un abus de pouvoir, une violation de propriété privée, utilisant un terme de droit commun pour le qualifier : « cambriolage ».

Nous avons retrouvé cette lettre adressée par l’abbé MOULIN à Mgr PELGÉ aux Archives Historiques de l’Archidiocèse de Poitiers, dont voici ici la transcription complète.

Un autre document a été annexé par FAULCON à la minute de l’inventaire… et il semble évident que ce soit le discours de protestation lu par notre trisaïeul Alexandre MAINAGE.

Notons un point essentiel qu’il est possible de relever à la lecture des documents : Monsieur FAULCON est qualifié d’honorable, il est reçu avec beaucoup de respect et de considération, peu critiqué par le curé qui pense même que sa charge de receveur lui pèse moralement en ce jour à Messemé et, dans son inventaire, FAULCON parle de « Sainte-Vierge » et non de « Vierge Marie », ce qui laisse déduire que le receveur FAULCON était un catholique pratiquant, n’approuvant pas les Inventaires, mais contraints d’exécuter les devoirs de sa charge à contrecœur.

D’après Un épisode de la Séparation de l’Église et de l’État : les inventaires dans l’ancien arrondissement de Loudun (1906) d’Annie MAILLET (octobre 1971), Messemé était une commune de Droite, les élections de 1904 voient le succès de la liste réactionnaire et les législatives de 1906 donnent la majorité à HIGNETTE, candidat de droite avec 40% des voix.

La vie politique de Messemé était dominée par la personnalité du maire de la commune, le comte François ROULLET de La BOUILLERIE, grand notable, domicilié au château de La Motte de Messemé, grand propriétaire (302 ha, 95 ares, soit près d’un tiers de la commune) ; président du syndicat agricole de Messemé, possédant cinq fermes et une métairie.

La commune de Messemé en cette année 1906 était composée par une majorité d’agriculteurs, dont 102 propriétaires vivant exclusivement de leurs biens, 21 fermiers, métayers ou colons, deux industriels, deux commerçants, un fonctionnaire et deux habitants exerçant une profession libérale.

Il est certain que Messemé était connue comme étant la paroisse la plus pratiquante du Loudunais, dans un discours prononcé le 25 mars 1943 par le curé de la paroisse lors de la visite de Mgr Édouard MESGUEN, évêque de Poitiers, venu pour célébrer les Confirmations (ce qui n’était pas arrivé depuis le Cardinal PIE !), discours que l’on peut retrouver aux Archives Historiques de l’Archidiocèse de Poitiers, montre que près de 40 ans après les événements de 1906, la Foi Chrétienne des Messeméens était toujours bien encrée !

▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Suite à la suppression des Conseils de fabrique par la Loi de 1905 et la constitution des Associations cultuelles de fidèles, l’évêque de Poitiers, contraint par la nécessité, fit contre mauvaise fortune bon cœur, nommer des conseils, dévoués et respectables paroissiens, afin de gérer l’administration paroissiale de Messemé. C’est ainsi que, sur proposition du curé de la paroisse, notre aïeul Alexandre MAINAGE se voit nommé par Mgr PELGÉ le 07/10/1907, avec le comte de La BOUILLERIE et Jean PINSARD, à cette fonction, comme en témoigne le registre de fabrique ci-contre.

Armoiries de la famille de MESSEME : « De gueules, à six feuilles de palmier d’Or appointées en Cœur » ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

É

É

Notons que dans son discours de 1943, le curé de Messemé précise que, bien que malgré l’absence de prêtre résident dans le village, grâce à l’engagement « d’un certain nombre de familles vraiment chrétiennes toujours prêtes à rendre service » (tels les ROULLET de La BOUILLERIE), le christianisme est demeuré vivace dans la paroisse, la présence dans la paroisse de mouvements tels que de La Ligue, la Jeunesse Agricole Catholique (J.A.C.), la Confrérie des Enfants de Marie devenue Jeunesse Agricole Catholique Féminine (J.A.C.F.), diverses Œuvres d’enfants, la Confrérie des Mères Chrétiennes et la Confrérie du Très-Saint-Rosaire-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie… parmi lesquels nous retrouvons des membres des familles MAINAGE et ROULLET de La BOUILLERIE. On trouve ainsi la mère, la grand-mère maternelle, l’épouse, la belle-mère, la belle-fille et la petite-fille d’Alexandre MAINAGE parmi les membres de la Confrérie du Saint-Rosaire, et son épouse Clémentine (née BLONDEAU) en tant qu’assistance trésorière de la Confrérie des Mères Chrétiennes en 1910.

La Médaille de Saint-Hilaire ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Le curé de la paroisse mentionne même dans son discours de 1943 que depuis trois ans, le Denier du Culte a plus que doublé dans la paroisse. Notons – et ce n’est pas un détail négligeable – qu’il évoque « les excellentes dispositions qui animent les autorités communales ci-présentes qui se soignent [à lui curé pour offrir à l’évêque] l’hommage de leur profond respect », et notamment que le maire de la commune, Léon PINSARD, est également le sacristain de la paroisse, mais aussi son organiste et son chantre, et que ce dernier a été décoré en 1942 de la Médaille de Saint-Hilaire ! Le curé utilise même cette expression : « Ainsi, il ne saurait y avoir de plus complète union entre l’autorité civile et religieuse » !

Le comte Henri ROULLET de La BOUILLERIE (fils du comte François et de la comtesse, née Camille de MESSEMÉ) précise dans son exposé historique de 1943 sur l’Histoire Messemé lors de la venue de Mgr MESGUEN – document que l’on retrouve aux Archives Historiques de l’Archevêché de Poitiers cote Q1 boîte 15-2 – que l’église de Messemé, consacrée en 1904 par Mgr PELGÉ avait été « édifiée grâce à la générosité et à la ténacité du conseil municipal d’alors, contre l’opposition administrative (…) ». Il y précise en outre que Mgr PIE, évêque de Poitiers, est venu à Messemé afin de donner le Sacrement de Confirmation aux paroissiens et ce alors que le futur cardinal avait été « déféré [par le] Conseil d’État, pour avoir critiqué, dans un mandement, la politique de Napoléon III à l’égard du St Siège ; aussi était-il interdit aux maires de l’accueillir. Le Sous-Préfet de Loudun notifie cette défense au maire de Messemé [ndlr : Victor marquis de MESSEMÉ (1818-1885)] qui, loin de se soumettre accueillit et même reçut chez lui le futur cardinal. Pour cette désobéissance civile mon grand-père [ndlr : le marquis Victor de MESSEMÉ étant le grand-père maternel d’Henri ROULLET comte de La BOUILLERIE] fut révoqué pour une année, au cours de laquelle le conseil municipal de Messemé refusa de le remplacer à la mairie ».

En outre, sous la Révolution française, l’abbé Jacques BLUCHAU, curé de Messemé, devint réfractaire à la Constitution civile du clergé de 1790, constitution condamnée par le St Siège l’année suivante. Il trouva alors refuge pendant tous les troubles révolutionnaires – et ce, jusqu’au Concordat de 1801 –, au Château d’Étrepieds (commune de Sammarçolles) et ce, avec la complicité de la population locale des villages de Sammarçolles et Messemé.

Dans l’Histoire religieuse de la paroisse de Messemé depuis la Révolution jusqu’à la fin du XIXe siècle, rédigé en 1910 par l’abbé DEPOIX, curé de Messemé, Historique que l’on retrouve aux Archives Historiques de l’Archevêché de Poitiers cote Q1 boîte 15-2, on peut lire : « M. BLUCHEAU, curé de Messemé, était obligé de se cacher dans un village actuellement de Sammarçolles, nommé Étrepieds, on m’a même dit qu’un certain père CHAVENEAU, grand-père d’un habitant actuel de Messemé lui servait la Ste Messe lorsqu’il célébrait derrière un tas de paille dans une grange de ce village ».

La révolte de 1906 à Messemé n’était donc pas un épisode aléatoire, car bel et bien on constate que le village était coutumier du fait d’une désobéissance civile pour son allégeance à la Foi Catholique !

À la fin du XIXe, il y avait encore des vignes réputées à Messemé : lors de la visite du Président Sadi CARNOT, en septembre 1892, à Poitiers, au banquet de trois-cent-dix couverts, qui eut lieu ans la salle des pas perdus du Palais de Justice, il y avait au menu… du vin de Messemé !

Enfin, nous ne pouvons terminer cet article traitant du village de Messemé et de l’implication que feu notre arrière-arrière-grand-père montra lors des événements de 1906, sans ajouter la biographie de notre arrière-grand-père, Léandre MAINAGE (1901-1972), qui fut maire de Messemé pendant 27 ans, et conseiller général du canton de Loudun durant l’affaire Marie BESNARD :

Léandre MAINAGE

Né le 24 mai 1901 à La Bottelerie commune de Messemé, Léandre Clément Marie Alexandre MAINAGE – dont nous avons le portrait ci-contre – est le 2e et dernier enfant, et unique fils, d’Alexandre MAINAGE (1864-1952) et Clémentine BLONDEAU (1869-1962). Ondoyé le 27 mai 1901, il est baptisé le 30 juin suivant en l’église St Césaire de Messemé. Son parrain était le vicomte Émery ROULLET de La BOUILLERIE (1890-1958), fils cadet des châtelains de Messemé.

La famille MÉNAGE (devenue MAINAGE suite à une erreur d’état civil) est installée au Haut-Messemé depuis le Consulat, commune où elle exerça, au fil des générations, les métiers de cultivateur, journalier, domestique et maçon.

Alexandre, le père de Léandre, ayant tiré un mauvais numéro, fut militaire pendant sept ans, et reçut en fin de carrière, le grade d’adjudant. À son retour de l’armée, il épousa une fille de son village natal, Clémentine BLONDEAU, et fut fermier du comte de La BOUILLERIE, à La Bottelerie, où naquirent Aline en 1892 puis Léandre en 1901. Aline, de 9 ans l’aînée de Léandre, fut sa marraine.

Clémentine BLONDEAU, mère de Léandre, surnommée “Titine”, est née à La Bruyère, commune de Messemé, d’un père cultivateur et maçon, et d’une mère couturière. Clémentine perdit son père très jeune, décédé à 41 ans en 1885 de ce qu’on suppose être un cancer de l’œsophage. La mère de Clémentine, Rose MAUBERGER, est décédée dans sa 99e année le 12 juin 1944, soit 6 jours seulement après le Débarquement des Alliés en Normandie, heureuse que (nous la citons) : “les Prussiens so[ie]nt enfin partis”.

Léandre, a certainement été élevé dans une famille profondément chrétienne, où le service à la collectivité publique jouissait d’un grand intérêt, d’où son attrait à devenir un élu local. En effet, son ancêtre François MAUBERGER fut maire de Sammarçolles sous la Révolution, un autre ancêtre François BLUCHEAU fut conseiller municipal de Messemé de 1840 à 1842 et membre du conseil de fabrique de Messemé jusqu’à sa mort en 1864, son oncle maternel, Auguste GUÉRIN, fut maire de Messemé de 1916 à 1919 puis de 1925 à 1935, et son père Alexandre MAINAGE fut également conseiller municipal à Messemé de 1919 à 1925.

Par son mariage avec Anne GUÉRIN le 10 novembre 1923 à Sammarçolles, Léandre MAINAGE devint également le gendre du premier adjoint au maire de Sammarçolles. Anne avait elle aussi plusieurs élus locaux parmi ses parents et alliés, notamment des ancêtres maires de Basses et Bournand, mais aussi des oncles et cousins maires de Basses, Sammarçolles et Morton.

Notons que le cousin germain de Léandre MAINAGE, Jean DUBOIS est « Mort pour la France » au cours de la Première Guerre mondiale. En outre, son beau-frère, Paul DEBIEN (époux d’Aline MAINAGE) fut décoré à titre posthume de la médaille commémorative de la Reconnaissance française pour fait de Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale, collaborateur du Réseau de l’abbé Emmanuel LANCRENON, curé de la paroisse Saint-Germain-des-Prés de Paris.

Léandre se lança dans l’exploitation commerciale de bestiaux, activité fleurissante et lucrative en cette France rurale de l’époque, ce qui lui valut ainsi une certaine respectabilité et notoriété locale, mais aussi de vivre confortablement, sans luxe ostentatoire.

Élu conseiller municipal à Messemé de 1935 à 1945, il devint le maire de la commune, de 1945, au lendemain de la Guerre, jusqu’à sa mort en 1972.

Sur le Front en 1939, il revint suite à la débâcle de 1940…

Il organisa le meeting aérien de Loudun du 21/08/1949, dans lequel des pilotes de renom et leurs acrobaties aériennes se succédèrent, tels Marcel DORET, Fernand MALINVAUD, Max GASNIER, René VINCENT, Louis CLÉMENT, René CURY, Adrienne BOLLAND, Maryse BASTIÉ, Paul CODOS, René FONCK, le commandant CANDESSUS, DEVILLIERS, DEZMOULIN, PELLEVOISIN, BUVRY, LUCAS… (Nouvelle République du Centre Ouest du 20/08/1949).

Fait chevalier (20/02/1957) puis officier (05/08/1966) du Mérite Agricole, Léandre MAINAGE devint le conseiller général de la Vienne pour canton de Loudun de 1955 à 1961.

De tendances gaullistes (non encarté), Léandre MAINAGE fut également candidat remplaçant de Guy PARTHENAY à la députation, sur la liste des Républicains indépendants non-inscrits lors des élections législatives du 23/11/1958 pour la circonscription de Châtellerault.

Parmi les nombreuses activités bénévoles qu’on lui connaît, il fut notamment Président du Bureau d’Aide Sociale de Messemé et Membre d’Honneur de l’Union Départementales des Sapeurs-Pompiers de la Vienne.

Décédé le 30 novembre 1972 d’un cancer de l’œsophage en son domicile du Haut-Messemé dans sa 71e année, ses obsèques le 2 décembre suivant à 15h00 en l’église du village, furent accompagnées d’un cortège impressionnant de personnalités locales, telles que Monsieur le Sous-préfet Jacques MILLORIT, Monsieur le Secrétaire Général de la sous-préfecture Max GUÉRINEAU, Monsieur le Sénateur-Maire de Loudun René MONORY, de nombreux conseillers généraux, maires de communes du Loudunais, Monsieur RAUD, ingénieur de la Régie d’Électricité représentant Monsieur le Président du Syndicat Intercommunal Jacques MASTEAU, Monsieur MARTIN, directeur de la Régie d’Électricité, le Lieutenant CHAMPION, vice-président de l’Union Départementale des Sapeurs-Pompiers, représentant le Président de l’Union, Monsieur Pierre HUGUET, avec une importante délégation des divers corps de sapeurs-pompiers de la région, Messieurs les représentants de divers services et coopératives agricoles, Messieurs les représentants de la Gendarmerie, etc., mais aussi d’une foule considérable d’anonymes et gens du pays venus rendre un dernier hommage au regretté maire de Messemé. En effet, l’annonce du décès de Léandre MAINAGE a peiné un grand nombre de familles du Loudunais, au sein desquelles il comptait beaucoup d’amis, en raison de ses hautes qualités humaines et de son dévouement à la collectivité, dévouement qui a été très efficace, car en tant que maire de sa commune et conseiller général du canton de Loudun, il sut mettre en pratique ses connaissances, notamment pour solutionner divers problèmes communaux et régionaux. L’assistance fut telle qu’à peine le quart des participants, autour de la famille, et des membres du conseil municipal, pu trouver place dans l’église.

Au cimetière communal, devant le cercueil, entouré de délégations d’anciens combattants avec leurs drapeaux, le premier adjoint au maire de Messemé, Camille DÉCHEREUX, rendit hommage, au nom de la municipalité, à celui qui fut pour tous un ami fidèle et dévoué, affirmant que sa vie peut se résumer sous le signe : « labeur et bonté ».

Le futur Président du Sénat, René MONORY, ayant tenu à s’associer à cet hommage, rappela que Léandre MAINAGE fut un véritable promoteur sur divers plans, et notamment pour le remembrement, avait fait de Messemé une commune-pilote.

Dans sa nécrologie, le journal La Nouvelle République du Centre Ouest s’associa également aux nombreux témoignages d’amitié adressés à la famille.

De son mariage avec Anne GUÉRIN, Léandre MAINAGE laisse trois enfants :

  • Christiane MAINAGE, épouse de Marcel JALLAIS, dont un fils fut maire de Tercé (Vienne), une fille maire de Saint-Léger-de-Montbrillais (Vienne), un fils conseiller municipal de Moirax (Lot-et-Garonne), un fils conseiller municipal de Loudun, et un petit-fils maire de La Chapelle-des-Pots (Charente-Maritime),
  • Pierre MAINAGE, qui fut comme son père avant lui, maire de Messemé, de 1989 à 1993, décédé lui aussi d’un cancer de l’œsophage en cours de mandat, et dont l’un des trois fils est toujours conseiller municipal à Messemé,
  • Jeannette MAINAGE (notre grand-mère maternelle), épouse de Pierre HÉRAULT, qui fut lui aussi élu, à Sammarçolles, comme conseiller municipal puis premier adjoint au maire.

Ainsi, la descendance de Léandre MAINAGE perpétue encore une longue tradition familiale d’élus au service de la collectivité…

La famille MAINAGE du Haut-Messemé en 1944
1er rang en haut (de gauche à droite) : Anne MAINAGE née GUÉRIN (1905-1995), Léandre MAINAGE (1901-1972), Clémentine MAINAGE née BLONDEAU (1869-1962), Pierre MAINAGE (1926-1993), Christiane JALLAIS née MAINAGE (1924-2017), Alexandre MAINAGE (1864-1952).
2e rang en bas (de gauche à droite) : Jeannette HÉRAULT née MAINAGE (1940-), Rose BLONDEAU née MAUBERGER (1845-1944).

À la douce mémoire de notre chère grand-tante Christiane JALLAIS MAINAGE qui nous a quitté l’an passé dans sa 93e année. Née à Messemé, elle fut une chrétienne convaincue, engagée et pratiquante, comme tous les Messeméens et Messeméenes. Le plus grand drame de sa vie fut qu’elle ne put mettre au monde, pour des raisons médicales, que « seulement » 11 enfants nés au Haut-Messemé entre 1946 et 1959, et ce alors que son rêve était d’être la mère 12 enfants, autant que le Christ avait d’Apôtres…


Pour aller plus loin sur la question des Inventaires dans le diocèse de Poitiers, vous pouvez consulter :

 

Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
Cliquez sur les épingles pour accéder aux articles déjà publiés.

Voir en plein écran

#ChallengeAZ │ G… Genouillé, le croup et l’épidémiologiste

L’histoire

La fille Hortense CHOISY, 10 ans, est une bonne petite. Joyeuse et de bonne constitution, elle est placée comme apprentie lingère chez sa tante, la femme GOURGEAU de Genouillé dont l’habitation est située dans la partie haute, au sud du village. Profitant du « chômage des fêtes de Noël », Hortense part à 34 km de là, à Saint-Martin-l’Ars, embrasser sa mère, jeune veuve qui, par nécessité pécuniaire dût placer l’enfant. Noël est triste en ce mois de décembre 1858, la cousine d’Hortense lutte contre une vilaine angine. Hortense l’entoure, la console et, inquiète, la quitte à regret à la fin du mois.

« La lingère, intérieur » par Léon DELACHAUX, huile sur toile, vers 1905 © Musée d’Orsay, Paris ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

C’est le premier janvier 1859 qu’une douleur vive à l’angle des mâchoires, saisit notre petite apprentie. L’inflammation des amygdales, les nombreux ganglions déforment rapidement son cou, la fièvre et des courbatures intenses l’épuisent. Sa peau devient sèche, chaude, la déglutition se fait de plus en plus difficile. Le médecin appelé cautérise les lésions au nitrate d’argent, déjà des plaques pseudo-membraneuses tapissent les amygdales. Au 4ème jour, les fosses nasales sont à leur tour envahies, l’air pénètre difficilement, Hortense étouffe. L’aspect de la gorge devient « effrayant », les lésions noircissent et la pauvre enfant succombe asphyxiée, au 7ème jour. La femme GOURGEAU épuisée, pleure : elle aimait cette enfant comme sa fille. Autour d’elle, le sacristain PINGAULT et la femme ROGEON, sa petite au sein ont accompagné ces quelques jours de lutte. La femme GOURGEAU ne tarde pas à son tour à ressentir les premiers symptômes, elle survit tandis que le fils du sacristain succombe en quelques jours.

1er cas étudié par le Dr Autellet : Hortense CHOISY © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Le 26 janvier, le mal frappe le fils de l’instituteur, Justin MONTAGNE, 7 ans, malgré les soins du Dr VERGER, l’enfant meurt après six jours d’une « angine des plus intenses ». La contagion a désormais gagné l’école, par les petits élèves, elle va s’étendre vers les hameaux environnants. Le couple Jean et Joséphine MONTAGNE perd entre février et mai, au cours de cette épidémie quatre de ses cinq enfants.  Le 2 février la femme ROGEON s’inquiète. Sa petite ne veut plus téter, son état se dégrade rapidement, étouffée par le mal, elle s’éteint après « une agonie atroce de 8h ».

Extrait du rapport du Dr AUTELLET, cas de Justin MONTAGNE © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Le mal porte un nom : Diphtérie. On l’appelle aussi croup. Là où rode la diphtérie, il n’y a ni répit, ni pitié. L’angine d’Hortense a ouvert le pas d’une épidémie funeste qui va s’étendre inexorablement. A Genouillé, «  le fléau a pris possession de son domaine, la nature lutte de toutes ses forces contre cet ennemi redoutable, mais au bout de trois jours, à bout de force, elle est obligée de succomber sous ses étreintes cruelles. C’est alors qu’apparaît la diphtérie avec tout le cortège de ses redoutables symptômes ». 

17 décès en janvier, 13 en février, 10 en mars, dans un petit village qui  compte habituellement une trentaine de décès par an. Les autorités sanitaires sont alertées. Le Dr AUTELLET, médecin des épidémies de Poitiers, vient mener les opérations sur place. Son intervention sera mentionnée dans les délibérations du conseil municipal. Dans le rapport qu’il nous laisse, l’épidémiologiste décrit les signes et les formes cliniques, la progression de maison en maison, la chronologie de cette catastrophe sanitaire ainsi que les traitements tentés. Le sacristain PINGAULT perd deux enfants, l’instituteur en voit mourir quatre. Au total, 177 personnes atteintes, dont 72 enfants. 64 morts dont 46 enfants. Bilan terrible pour ce petit village de 1368 habitants et hélas sous-estimé, car cette année-là à Genouillé, l’état civil mentionne 130 décès, plus d’une dizaine par mois jusqu’en octobre et un pic à 23 décès en mai.

Les communes avoisinantes sont touchées dès juillet, Savigné, Blanzay, 2 à Saint-Macoux, Voulême, Charroux, Civray…

Extrait du rapport du Dr AUTELLET, récapitulation des cas observés © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

A l’analyse épidémiologique proposée par le Dr AUTELLET, s’ajoutent des conseils de salubrité  délivrés aux habitants car « les maisons basses d’étage, creusées dans le sol, mal aérées, humides et laissant pénétrer les eaux pluviales, ainsi que les charrières remplies de fumier » ne sont pas sans lien avec l’installation des épidémies.

Il est des documents d’archives qui se lisent comme un roman, ce trésor de la série 5 M des Archives Départementales en est un. Ancêtre des Pasteuriens, le Dr Pierre Médard AUTELLET, Chevalier de la Légion d’Honneur sera récompensé en 1871 par une médaille d’argent décernée par l’Académie de médecine pour son rapport sur une épidémie de diphtérie qui règna 10 ans plus tard sur la commune de Blanzay. Néanmoins,  il ne verra pas l’aboutissement de son travail de recherche et meurt le 1er octobre 1878, 5 ans avant la découverte de la bactérie, 50 ans avant la vaccination antidiphtérique obligatoire pour les enfants de France. Vaccination qui a permis de vaincre cette terrible affection.  

« Le vaccin du croup » par André BROUILLET, (1857-1914). Héliogravure parue dans la revue « L’Œuvre d’art » du 5 mai 1895 © Gallica BnF

Le Corynebactérium Diphtériae est découvert par Klebs et Löffler en 1883. En 1888, Roux et Yersin découvrent la toxine diphtérique. En 1890, Behring et Shibasaburo découvrent l’antitoxine. Roux développe une sérothérapie en 1894. Le premier vaccin antidiphtérique sera développé en 1923 et deviendra obligatoire par la loi du 25 juin 1938, pour les enfants de moins de 18 mois.

Avant la vaccination, la diphtérie (nommée aussi Croup) touchait 5% de la population avec une mortalité de 50 à 100 pour 100 000 habitants par an. En 2015, la diphtérie a touché 4530 personnes dans le monde. 

Source : AD86 Série 5 M 18

Pour aller plus loin : dossiers d’archives et outils de recherche

Vous trouverez ici un compte-rendu détaillé des différents documents consultés et quelques éléments d’indexation. Ils vous permettront de compléter vos recherches généalogiques et familiales. Au-delà, ils nous permettent d’en savoir un peu plus sur la vie d’une petite commune de la Vienne au XIXème siècle dans un contexte particulier de grave crise sanitaire.

Le Rapport du Dr AUTELLET – Source : AD86 –  Série 5 M 18

La sous-série 5 M des Archives départementales de la Vienne traitant Santé Publique et Hygiène nous plonge dans l’histoire des épidémies. Les comptes rendus souvent brefs, lacunaires, parfois nominatifs dépassent rarement quelques feuillets. Le document laissé à la postérité par le Dr AUTELLET est exceptionnel. Il raconte en 200 pages, la catastrophe sanitaire survenue en 1859  à Genouillé et alentour.

Description des cas cliniques

Compte-rendu du Dr AUTELLET sur l’épidémie de diphtérie qu’il a observée – Introduction © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Après une brève introduction, un rapport détaillé et nominatif des 16 premiers patients atteints par la maladie nous apprend leur nom, leur âge, les circonstances de survenue de la maladie, les premiers signes de l’affection. Les éléments cliniques sont précis et détaillés ainsi que les traitements tentés et l’issue de l’affection.

L’énumération des cas cliniques est chronologique, permettant de désigner le premier patient à l’origine de l’épidémie et pour chaque cas ou presque, le contact contaminant, mais aussi le contexte familial et social. L’insalubrité des habitations, les mauvaises conditions de vie, l’absence d’hygiène qui règne dans la plupart des maisons modestes de la commune sont considérées comme autant d’éléments aggravant l’épidémie.

Les différentes formes cliniques sont mentionnées et détaillées ainsi que la durée et l’issue de l’évolution.

Malade après malade, jour après jour, hameau après hameau, nous suivons la progression terrifiante de la maladie, nous entrons dans les maisons, nous apprenons à comprendre la psychologie familiale, la peur du médecin et le poids des traditions qui trop souvent privilégient les remèdes des guérisseurs locaux et un fatalisme sidérant. Les hommes de science peinent à se faire accepter dans ce village accablé. Face à l’ampleur du drame, ils sont quatre à consulter : le Dr PORGET, le Dr COUSSOT, M. CHABRIER officier de santé, le Dr AUTELLET. Ainsi, la trachéotomie qui semble constituer un ultime espoir lors des phases asphyxiantes ne sera acceptée qu’une fois par les parents d’un petit malade, les autopsies seront systématiquement refusées.

Ces cas cliniques nous apprennent aussi du contexte. Ainsi la salle de classe est-elle jugée trop petite par notre épidémiologiste et surchauffée par le bois amené quotidiennement par les élèves. Dans cette atmosphère confinée, les enfants transpirent, mouillent leurs vêtements puis sortent jouer dans le froid de la cour de récréation sans aucun vêtement supplémentaire pour se couvrir. « C’est donc maintenant de l’école que va partir le fléau pour suivre une marche capricieuse, s’abattant sur un village pour y laisser des traces de larmes, reprendre son vol pour ravager un hameau où son passage sera marqué par un deuil général ». Aux éléments scientifiques s’ajoutent ces élans littéraires presque poétiques qui témoignent du bouleversement et de l’empathie de l’auteur.

Extrait du rapport du Dr AUTELLET © Archives départementales de la Vienne 86 ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Chez les petits écoliers du village, la marche de l’épidémie est rapide, les formes cliniques gravissimes et la plupart du temps fatales. Pour faire face à la situation, l’évacuation de l’école est proposée par les médecins et acceptée par le maire et le sous-préfet. Dans le même temps, curé, maire, notables encouragent les habitants à faire face en ayant recours dès les premiers signes annonciateurs à la venue du médecin et en appliquant rapidement quelques mesures simples d’hygiène. Toutes ces recommandations sont mal suivies, trop souvent le médecin est appelé avec retard ou ignoré comme en témoignent les décès de l’Etat civil qui échappent au recensement de l’épidémiologiste.  

Extrait du rapport du Dr AUTELLET, réflexions sur les cas observés © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

La triste litanie des cas cliniques se poursuit, certains seront plus brièvement décrits. A la commune de Genouillé s’ajoutent celles de Lizant, Saint-Gaudent et Civray, Savigné,  Blanzay, Saint-Macoux, Voulême.

Réflexions autour de l’épidémie

Après 16 cas cliniques, le Dr AUTELLET mène ses premières réflexions et déductions. La certitude du caractère contagieux de l’affection est établie, les éléments de la progression ne font aucun doute et permettent d’affirmer que l’épidémie vient de Saint-Martin-l’Ars, commune atteinte de diphtérie à la fin de l’année 1858, où séjourna et  se contamina la jeune Hortense CHOISY, première atteinte et décédée le 7 janvier 1859, quelques jours après son retour à Genouillé.

Les 17 premiers cas permettent d’établir un premier bilan de la progression. Dans un second paragraphe, l’accent est mis sur le bilan des familles touchées. La plupart du temps, lorsque la diphtérie arrive dans une maison, tous les enfants sont touchés, la mortalité est terrifiante, trois enfants sur cinq, deux sur trois. L’instituteur perd quatre enfants sur cinq… La contamination tient plus à l’état général des enfants qu’à leurs conditions de vie. AUTELLET  présente son travail avec modestie et humilité, conscient des limites de son art, et ne manquant pas de faire référence dans ses réflexions à son vénéré maître BRETONNEAU.

La diphtérie est tonsillaire, pharyngée, laryngée ou générale. La forme laryngée atteint particulièrement les enfants de moins de 7 ans, pour lesquels la trachéotomie ne sera acceptée qu’une fois par les familles. Sans résultat. La description de cette intervention n’est pas retrouvée dans le document.

L’étiologie est recherchée. La première patiente est Hortense CHOISY. La progression se fait alors pas à pas, le patient contaminateur est toujours retrouvé et le Dr AUTELLET met un point d’honneur à pouvoir rendre compte. A ce facteur s’ajoutent les conditions de salubrité des maisons de Genouillé, souvent enterrées, ainsi que les conditions de vie des enfants, mal vêtus, la plupart marchent pieds nus et sont bien souvent livrés à eux-mêmes.

Extrait du rapport du Docteur AUTELLET, recommendations © Archives départementales de la Vienne ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Les formes cliniques varient. Diphtérie laryngée : 79 enfants atteints, 66 décès, 11 pseudo-croup. Diphtérie pharyngée simple : 27 cas et 12 décès. Diphtérie toxique : 3 périodes, 91 cas et 67 décès

L’incubation apparaît variable et peut durer 20 jours.

La marche de l’affection est insidieuse, saccadée, irrégulière, capricieuse. La mort survient en moyenne en 9 jours, la guérison en 1 à 3 mois.

A des périodes de forte mortalité, durant lesquelles presque tous les patients décèdent se succèdent des périodes plus clémentes. À noter dans les villages de Gourgeaudin de Puisiot et des Mauvoisins, une épidémie de variole s’ajouta à la diphtérie et en diminua les effets.

Les traitements entrepris sont détaillés, les protocoles précisés, leur évaluation est tentée.

Cautérisations au nitrate d’argent, insufflation de poudre d’alun, cataplasmes émollients, synapismes pelviens et thoraciques, tartre stilbié, perchlorure de fer, huile de Croton Tiglium, cautérisations à l’acide chlorhydrique, chlorate de potasse, Calomel. Différents protocoles de traitement sont mis en place et évalués, le Calomel semble apporter le plus de bénéfice en entraînant une hypersalivation bénéfique.

Comme souvent au XIXème siècle, les médecins sont aussi sujets d’expérimentation. Le Dr AUTELLET, faisant référence aux expériences d’inoculation de TROUSSEAU et PETER, raconte qu’en cautérisant un malade il reçut un morceau de pseudo-membrane dans sa bouche entrouverte et ne put s’en débarrasser qu’au bout de quelques minutes. Il s’en suivit pour lui une irritation gingivale sans plus de conséquence. 15 jours plus tard, également lors d’un effort de toux au cours d’une cautérisation, une pseudo-membrane vint se loger sur son œil, qu’il lava à grande eau. Il n’eut à subir aucune conséquence et en conclut que la contamination de la diphtérie ne se fait pas par ces voies là…

Le Dr AUTELLET conclut en remerciant les hommes bienveillants qui œuvrèrent pendant l’épidémie : M. GRUGEON curé desservant depuis 29 ans, le Dr PORGET, le Dr COUSSOT, M. CHABRIER officier de santé à Availles-Limouzine.

Tableaux récapitulatifs et nominatifs

Les tableaux proposés récapitulent les éléments scientifiques apportés par cette étude.

Le tableau nominatif des patients répertoriés dans l’étude a été repris sur Excel afin de faciliter les recherches des généalogistes.

Lien à suivre : Epidémie de Genouillé, indexation du rapport du Dr Autellet par Gloria GODARD pour le CGP

Registres d’Etat-Civil de la commune de Genouillé – Source : AD86 – Archives en ligne

L’indexation des registres d’Etat Civil est le petit plus apporté par le Cercle Généalogique Poitevin, il nous permet de comparer et de compléter les données du document de la série 5 M18. Le bilan semble ainsi sous-évalué, on compte en effet 130 morts à l’Etat Civil.

Lien à suivre : Epidémie de Genouillé, indexation du registre d’état civil par Gloria GODARD pour le CGP

Délibérations de conseil municipal de la commune de Genouillé – Source : Archives municipales de Genouillé

(en cours d’exploration)

Le PLUS : L’intégralité du rapport du Docteur AUTELLET a été numérisé et peut être mis à disposition sur simple demande auprès de Gloria GODARD (la.godardiere@gmail.com) ou du CGP.

Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
Cliquez sur les épingles pour accéder aux articles déjà publiés.

Voir en plein écran

#ChallengeAZ │ F… Frontenay-sur-Dive, un crime presque parfait à la Bizardrie

Vers 1970, la découverte, dans un vieux dictionnaire familial, d’un article de journal soigneusement découpé, sans date de référence et passablement jauni, m’interpelle.

Fait divers à Frontenay-sur-Dive près de Loudun : un vieillard tue sa femme et se fait justice

C’est par cet article que tout a commencé. ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

– « Maman, c’est quoi? »
– « Tu connais pas, c’est l’article qui parle de Pierre Lestin, une sombre histoire dans la commune. Ça a fait beaucoup de bruit à l’époque.« 

Ainsi commence pour moi le récit d’une affaire qui intrigue encore mon village natal. J’ai conservé une copie de ce document et le hasard de recherches généalogiques m’amène de nouveau, 80 ans après cet épisode, à enquêter sur cette affaire, même si la mémoire transmise peut être fragile. A partir des journaux de cette période-là, de témoignages de personnes proches, aujourd’hui disparues ou encore de ce monde en 2018, toutes vivantes au moment des faits, il est assez facile de reconstituer les événements. Par contre, il est plus difficile d’élucider les mystères évoqués par certains et encore moins de faire taire la rumeur, à moins que ce ne soit la réalité…

Le 15 décembre 1938, Frontenay-sur-Dive, paisible localité du nord-ouest de la Vienne, se réveille dans la stupeur. Pierre Célestin CORVAL, dit Pierre Lestin et son épouse Germanie, née THOMAS, sont retrouvés morts dans leur domicile de la Bizardrie ! C’est un proche, André, qui a prévenu la gendarmerie et à la découverte des corps, le suicide est l’hypothèse la plus probable.

Les époux Corval sont honorablement connus.

Frontenay-sur-Dive, fait divers à la Bizardrie impliquant Pierre Célestin CORVAL et son épouse Germanie THOMAS

Pierre Célestin CORVAL et Germanie THOMAS ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Pierre Lestin commence un premier mandat de conseiller municipal en 1892 à 27 ans. Il entame un second mandat en 1900 après une pause de 4 ans puis devient adjoint au maire de 1904 à 1908, le maire étant aussi un CORVAL, Jules, un lointain cousin. Après une seconde pause de 1908 à 1925, il reprend encore du service comme conseiller municipal, étant le doyen d’âge de cette assemblée, de 1925 à 1929 et de 1929 à 1935.

Pierre Lestin et son épouse se constituent, au fil du temps, un patrimoine non négligeable. Ils louent leurs terres à Edmond AUBRY, un de leurs proches voisins et ne manquent financièrement de rien.

Alors pourquoi cet acte de désespoir?

L’origine de l’affaire, si on peut dire, remonte à 1914 et à cette putain de guerre. Avant cette date déjà, la vie n’épargne pas la famille de Pierre Lestin. Son père Victor meurt deux ans après sa naissance, le 21 août 1867, à 29 ans. Le 09 janvier suivant, sa mère Marie THIOLLET accouche de jumeaux qui ne vont vivre que quelques mois seulement. Elle reste seule pour élever son fils.

En 1889, Pierre Lestin et Germanie se marient à Notre-Dame d’or, le village d’à côté. S’ils habitent à Frontenay-sur-Dive, c’est toujours à Notre-Dame-d’Or, chez sa grand-mère THOMAS, que leur enfant unique, Damien, naît en 1890.

CORVAL Damien mort pour la France © Mémoire des Hommes

Voilà 1914. Marié le 06 juin à Olga CHARPENTIER dans un autre village voisin, Damien est envoyé au front dès le 03 août suivant. Son régiment, le 113e RI de Blois, est quasiment anéanti le 22 août 1914 à Signeulx (Belgique, lors de la Bataille des Frontières). C’est le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France avec 27000 soldats tués aux combats. Damien y est porté disparu.

==> Pour en savoir plus sur la bataille de Signeulx : consulter « 22 aout 1914 le 113e à Signeulx » une enquête en Belgique par HUBERT-FILLAY, éditeur E. FROGER, Blois, 1921

Après de vaines recherches auprès du Comité International de la Croix-Rouge à Genève et Annecy entre autres, le tribunal de Loudun déclare « constant » le décès du fils chéri en 1920. Marie(*), de Messais, proche de Frontenay-sur-Dive, début mars 2018, me précise : « ma mère, cousine issue-de-germain de Damien CORVAL, m’a souvent dit que les parents de ce dernier ne se sont jamais remis de la mort de leur fils« . Pour les parents CORVAL, sans dépouille, difficile de faire leur deuil.

Ce n’est qu’en avril 2014, presque 100 ans après sa disparition, que j’ai connaissance du « parcours » de sa dépouille. Depuis 1922, après trois sépultures provisoires en Belgique, Damien CORVAL repose dans une fosse commune à la nécropole de Gorcy (54). Je m’y rend le 22 août 2014 en « pélerinage », 100 ans jour pour jour après son décès et dépose sur la fosse commune un peu de terre de son village d’enfance. L’épouse de Damien, Olga, qui habite St-Jean-de-Sauves sa vie durant et la famille de Damien ne l’ont apparemment jamais su. Cette information m’est confirmée en mai 2014 par Alphonsine(*), 93 ans, fille d’Olga qui s’est remariée avec André ROBINEAU, celui qui prévient la gendarmerie ce 15 décembre 1938.

Propriétaires aisés, sans héritiers directs, Pierre Lestin et Germanie deviennent alors les bienfaiteurs du village. Ils financent en 1920 le Monument aux Morts qu’ils donnent officiellement par écrit ensuite à la Commune en 1925. Six ans plus tard, le 15 mars 1931, Pierre Lestin offre un corbillard à la municipalité, avec le seul engagement de l’utiliser sans la moindre distinction de parti ou d’opinion de la personne décédée. Et c’est Ernest RIDOUARD, 58 ans, le 08 mai 1935, qui « inaugure » ledit corbillard qui sert jusqu’en 1976 et croupit depuis, inexorablement, dans un local attenant au cimetière.

Frontenay-sur-Dive, corbillard offert par les époux CORVAL en 1931

Le corbillard offert par les époux CORVAL à la commune de Frontenay-sur-Dive en 1931. Il sera utilisé en 1973 dans le film « pleure pas la bouche pleine » de Pascal THOMAS, cinéaste né à Saint-Chartres, près de Frontenay. En arrière-plan, le bâtiment qu’il a fallu construire pour accueillir le corbillard, d’un coût de 3412Frs. © photo : R. ARCHAMBEAULT ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Les faits relatés dans la presse

L’article du 15 décembre 1938 que j’ai récupéré et dont je n’arrive pas à retrouver l’original du journal aux Archives de la Vienne, précise que des voisins entendent un coup de feu le 14 décembre vers 18 heures et un autre le lendemain matin vers 4h. Selon le journal « l’Avenir de la Vienne » du 16 décembre 1938 et l’hebdomadaire « La Semaine » du 18 décembre suivant, devant les faits indiscutables et un courrier annonçant leur intention de mettre fin à leurs jours, le parquet conclut au suicide et n’ordonne pas d’autopsie. Des journaux non locaux semblent mieux informés. « Le Populaire de Paris » et « L’Ouest Eclair de Rennes » annoncent que Germanie souffrait de troubles mentaux et que Pierre Lestin avait décidé de la supprimer, puis de se suicider.

Les dimanches suivants, le chemin menant à la maison des époux CORVAL devient un lieu de « promenade », « mais on ne peut rien voir, la maison est sous scellés« , me raconte Irène(*), 89 ans, en décembre 2017. Alphonsine(*), la fille d’Olga, 96 ans passés, que j’ai eue au téléphone courant 2018, toujours bon pied bon œil, a retenu que « Pierre Lestin tue sa femme, puis se suicide« . Elle a 17 ans à l’époque des faits et n’oublie pas cette tragédie, car elle se rend régulièrement avec ses parents chez les époux CORVAL. Alphonsine(*) se souvient aussi que, après ce drame, sa mère Olga ne lui parle jamais de cette affaire, et ne peut en conséquence aujourd’hui expliquer le geste de Pierre Lestin. Alphonsine(*) n’a pas non plus le souvenir de troubles mentaux chez Germanie.

Voilà pour la version officielle telle que je la découvre en recherchant les documents d’époque et avec le concours de familiers. Mais une autre version existe, qu’il convient de prendre avec précaution, mais aussi avec intérêt car venant de gens du village qui me sont proches et pour lesquelles la parole est difficile à mettre en doute.

Les anciens de Frontenay se souviennent

Je précise bien qu’il n’est nullement question ici de porter atteinte à la mémoire des disparus, ni de porter un quelconque jugement, encore moins d’affirmer que tous les faits rapportés ci-après sont authentiques. Il s’agit plutôt d’exprimer ce que les habitants ressentent à ce moment-là et d’enregistrer des témoignages (rumeurs ou réalités) qui circulent encore chez les anciens du bourg. Je précise enfin que, si tous les témoignages proviennent de personnes très âgées, toutes sont saines d’esprit, et presque autant de corps.

Officiellement donc, Pierre Lestin tue sa femme qui donne des signes de dérangement mental.

Officieusement, cet argument n’est qu’un prétexte, écrit sur la lettre envoyée le 14 décembre 1938  et reçue le 15 au matin. Ce proche qui reçoit la lettre, c’est André, celui qui prévient la gendarmerie. Nous sommes, en cette fin 2018, toujours en attente du procès-verbal de gendarmerie afin de connaître le contenu de cette lettre, si jamais elle est divulgable. Dans le bourg, tout le monde retient que Pierre Lestin et son épouse Germanie sont en désaccord sur la désignation d’un héritier de leurs biens. L’un souhaite faire hériter leur belle-fille qui s’est remariée, l’autre ne veut pas en entendre parler. Aucun ancien ne m’a rapporté que Germanie était souffrante!

Irène(*), précédemment citée, et Aimé (*), aussi 89 ans, me confirment courant 2018, séparément et sans concertation aucune: « Pierre Lestin était dur en affaires et pas toujours sociable avec sa femme« , et Aimé(*) rajoute : « Pierre Lestin, un enragé de la chasse !« 

Irène(*) et Aimé(*) toujours, ainsi que Berthe(*), 91 ans en 2018, jeunes témoins de l’époque, rapportent que Pierre Lestin, le 14 décembre 1938, fait le tour du village et paie toutes ses dettes, notamment celle du boulanger, généralement payée en fin de mois. « On ne sera pas là ces jours » me rapporte spontanément Aimé(*) avec qui j’évoque cette affaire début 2018, citant Pierre Lestin.

Pour ma mère Denise (1920-1998), laquelle m’a souvent parlé de cette affaire, si Pierre Lestin tue sa femme Germanie le soir et se suicide au petit matin suivant, c’est dans le but de laisser un délai suffisamment long entre les deux décès, pour une question de succession. « Ça lui aurait laissé ainsi le temps de rédiger certains papiers !« , me confirme Irène (*) récemment.

La version que me rapporte Juliette (*), 86 ans en 2007, disparue l’année suivante, est plus surprenante encore. Le jour de l’enterrement, le 17 décembre 1938, les croque-morts procèdent à la mise en bière. Germanie est mise normalement dans son cercueil. Mais son époux, son meurtrier selon les gens du village, y aurait été mis allongé sur le ventre, face contre le fond, façon de marquer, même dans la mort, une certaine humiliation pour le crime commis.

Comment sont emportés les cercueils vers l’église distante de huit cent mètres ?

Joseph(*), 88 ans en cette année 2018, se souvient d’avoir accompagné, en tant qu’enfant de chœur, un seul cercueil de la maison CORVAL vers l’église, pas deux. On lui a bien parlé d’un suicide dans cette maison, mais à 7 ans, il lui est probablement difficile d’appréhender la situation. Qui dit enfant de chœur dit religion, c’est donc le corps de Germanie que suit Joseph(*) ce jour-là, car il n’est pas question de faire rentrer le cercueil d’un suicidé, qui plus est d’un assassin dans l’église. Ce fait m’est confirmé par ma mère Denise depuis mon enfance jusqu’à sa disparition en 1998 et par Aimé(*) début 2018. Et peut-être que le corbillard offert à la commune par Pierre Lestin n’a pas servi pour Pierre Lestin lui-même. Un comble, dans cette malheureuse histoire, que je rajoute, sans aucune certitude.

Juliette(*) me rapporte en 2007 les propos de son entourage. Le cercueil de Pierre Lestin attend dehors pendant que celui de son épouse Germanie reçoit l’hommage des villageois. Mais rien ne ressemble plus à un cercueil qu’un autre cercueil ! Et plusieurs témoins affirmeront plus tard que c’est celui de Pierre Lestin qui rentre dans l’église et non celui de son épouse !

Une fois la cérémonie terminée, on emporte dans le cimetière le cercueil passé par l’église. Puis tout le monde rentre chez soi, laissant aux croque-morts le soin d’enterrer le second cercueil sans cérémonie et peut-être en le passant par-dessus le mur, comme c’était la coutume jadis. Ce qui est sûr par contre, c’est que mon arrière-grand-père, Léon PANIER, le patriarche de la famille, rentrant chez lui soudain se ravise : « je ne pouvais laisser mon camarade de communion partir comme ça ! », racontera-t-il plus tard à sa petite-fille Denise, ma mère donc. Et il retourne assister à l’inhumation de Pierre Lestin.

Rumeurs ou réalités. Certains faits évoqués sont sujets à caution, d’autres incontestables, tel ce document que j’ai retrouvé récemment dans la famille du sacristain, Ernest COUILLEBAULT : il est demandé par la famille un service de grande 1ère classe d’un coût de 182 francs, accompagné de deux couronnes de 118 et 138 francs de l’époque pour Germanie… Rien n’est demandé pour Pierre Lestin !

Les époux CORVAL sont enterrés ensemble. Leur tombe existe toujours à Frontenay-sur-Dive. Je n’y ai jamais vu de fleurs, mais la plaque avec leurs noms, leurs années de naissance et de décès a été rénovée il y a quelques années.

Frontenay-sur-Dive, cimetière, sépulture des époux CORVAL

Sépulture des époux CORVAL, cimetière de Frontenay-sur-Dive © photo R. ARCHAMBEAULT ▲ clic sur l’image pour l’agrandir

Quant à leur maison, elle est rapidement revendue à un couple du village qui vient de voir partir la sienne en fumée juste avant ou au début de la guerre 39/45. La maison de l’horreur devient alors la maison de la gaité, car c’est ici qu’on organise dans la grange attenante les bals clandestins de la commune pendant ladite guerre.

Un peu de généalogie

Bizarrement, le nom de CORVAL qui apparaît jusqu’à une trentaine de fois sur les différents recensements avant et après 14/18 disparaît presque totalement après 39/45 à Frontenay-sur-Dive. 

Une recherche rapide sur Geneanet m’a permis de découvrir l’ascendance de Pierre CORVAL et retrouver des personnes de sa famille. J’ai ainsi pu rechercher des descendants des branches collatérales du côté CORVAL que j’ai rencontrées pour évoquer ce drame.

Ascendance de Damien CORVAL d’après Marie Paule PIET (Geneanet)

Par discrétion, même si j’ai une idée des personnes qui ont hérité des époux CORVAL, je ne me suis pas permis de leur en parler.

Pour terminer, l’ampleur des recherches menées me font apparaître comme un lointain cousin de Pierre Lestin et de son fils Damien, copain d’enfance de mon grand-père Joseph DEPOYS, le père de ma mère Denise.

Aujourd’hui, pour les quelques membres de la famille de Pierre Lestin que j’ai contactés, c’est plutôt le silence de leurs parents qui prédomine. Quelques uns, très peu renseignés sur cette pénible affaire, avec les générations qui ce se sont écoulées depuis, ont apprécié que je leur fasse part de mes recherches. En dehors de la famille de Pierre Lestin, les vraies raisons de la disparition des époux CORVAL ne font aucun doute, chacun ayant sa propre idée sur le personnage à double facette, à la fois Docteur Jekyll et Mister Hyde, bienfaiteur de la commune et assassin de son épouse.

(*) Par précaution et par respect, j’ai utilisé des noms d’emprunt pour toutes les personnes qui ont accepté de témoigner et qui sont encore vivantes à l’heure où cet article est publié.

Ci-dessous cartographie des lieux cités au cours de ce Challenge AZ.
Cliquez sur les épingles pour accéder aux articles déjà publiés.

Voir en plein écran